Bannissons les litotes ou le langage policé.
Évitons de mettre en parenthèses des événements sociétaux. Cessons de les remiser dans le domaine de vulgaires faits divers en occultant les liens diffus qui les relient à une problématique émergente. Décrire sans euphémisme une néfaste situation naissante est sans conteste le meilleur remède pour en juguler sa propagation.
Par Jean Poletti
es réactions populaires sporadiques s’invitent dans le débat insulaire amputant le concept du vivre ensemble. Et laissant percer ce que de manière prosaïque la sociologie nomme le rejet de l’étranger. Certains feignent de l’ignorer dans une fausse démarche altruiste, s’apparentant fréquemment au moyen de contourner le hiatus. D’autres, campant sur une louable doctrine humaniste, rechignent à scruter
la réalité aussi prégnante fut-elle. Pourtant la Corse n’est plus à l’abri d’un clivage communautariste. Il est illustré par plusieurs événements récents qui suscitèrent des réactions populaires.
RÉACTIONS POPULAIRES
Au-delà des rassemblements ou prises de position, perçait en formule lapidaire le fameux «on n’est plus chez nous», comme cri de ralliement. Cela se produisit voilà quelque temps quartier des Cannes à Ajaccio ou des dealers avaient interdit la venue d’agents municipaux. Inscriptions sur les murs et cris de la foule mêlaient « A droga no » et « Arabi fora ». Plus récemment du côté de Paese Novu, à Bastia, une manifestation fut l’épilogue d’une rixe entre jeunes. L’un deux, Raphaël victime de blessures à l’arme blanche. Là aussi percèrent des tensions entre Corses et Maghrébins, ponctuées par des assertions telles «Racailles fora» «Ici ce n’est pas la banlieue parisienne » ou encore « Basta cusi ». En corollaire se produisit l’agression contre une personne âgée par un couple originaire de Pologne. Ou celle qui se produisit à L’Île-Rousse, durant laquelle un résident fut molesté par plusieurs individus, prêtant le flanc à des propos vilipendant des groupes allogènes.
LE GRAND DANGER
Ici et là, ces confrontations sont d’évidence attisées par les réseaux sociaux, qui sans retenue versent dans le racisme. Voilà le grand danger. Tel est l’enjeu aux lisières d’autres plausibles débordements qu’il convient d’anticiper, dans une démarche collective en rupture avec une passivité proche du lascia core. Sans verser dans le diagnostic social, nul ne contestera que ces exactions se produisent fréquemment dans les quartiers dits populaires. Ces immeubles et lotissements au sein desquels la cohabitation entre locaux et
population immigrée, ou qui en est issue, se fragmente. Et voilà que surgit chez nous le spectre réel ou supposé des obstacles à l’intégration et a fortiori de l’assimilation. Tels avancent même l’argument culturel et de la perte de l’identité insulaire. En cela ils n’hésitent pas à asséner que ces gens venus d’autres horizons battent en brèche l’adage «La Corse fabrique des Corses.» Au risque d’insister plus que de raison, la société insulaire risque, si l’on n’y prend garde, d’être happée par une spirale du rejet de l’autre, propice à des affrontements plus radicaux encore que ceux qui forgent l’actualité.
PHÉNOMÈNE DE BANLIEUES
Dans une évidente accélération des clivages, le fait démographique s’immerge désormais dans le positionnement politique. Il est notamment mis en exergue par Core In Fronte qui affirme déceler une fragmentation communautaire de la société corse. Et d’enfoncer le clou en ajoutant qu’il n’existe qu’une seule communauté de droit sur cette terre: le peuple corse. Analyse spécifique aux indépendantistes ? Nullement. U Partitu di a Nazione Corsa évoque sans ambages un phénomène de «banlieurisation» estimant par ailleurs que la société corse est menacée dans son existence par les valeurs et codes culturels qu’elle porte. En point d’orgue, l’association identitaire Palatinu se montre plus exclusive encore. À ses yeux nul doute n’est de mise, la Corse est confrontée à une tension permanente entretenue par la présence massive de populations extérieures. «Elles produisent nombre d’éléments animés par un esprit profondément prédateur et vindicatif à l’égard des Corses de souche et des Européens assimilés. »
CAÏDS DE QUARTIERS
Évoquer une tentative de récupération n’est pas vue de l’esprit. Pour autant ignorer que le feu couve sous les cendres relèverait d’une léthargie intellectuelle et morale pouvant annoncer un réveil douloureux. Il est sans doute encore temps d’accréditer l’idée que le pire n’est pas forcément certain. Cela implique de déciller les yeux. De reconnaître que dans nos villes aussi existent des zones de non-droit où des caïds aux petits pieds s’affranchissent des règles élémentaires. Cela est prégnant dans certains endroits de la cité phocéenne, aux alentours de la capitale ou en d’autres lieux hexagonaux. Éviter que cela n’arrive sur nos rivages est aux antipodes de la stigmatisation. Elle procède tout simplement de l’ardent souhait que la citoyenneté pleine et entière soit le creuset d’une harmonie façonnée par une Corse ouverte. À condition que ceux qui s’y sont installés, ou parfois même sont nés ici, acceptent sans l’ombre d’une réticence cio che no simu. Avec nos défauts et nos qualités. Et sans doute les qualités de nos défauts. En toute hypothèse, tout accrédite l’idée d’une situation ayant la fragilité du cristal. Les points d’achoppement qui se succèdent impliquent forcément une réelle vigilance. Et notamment de trier le bon grain de l’ivraie.
FÂCHEUX PRÉCÉDENTS
S’opposer aux brebis galeuses ne doit pas se muer a une détestation générale d’une communauté majoritairement calme, silencieuse et inconnue des rubriques de faits-divers. Il n’empêche l’angélisme de certains qui se refusent a voir une mutation sociétale participent, malgré eux, a ce climat délétère. Ils continuent selon la formule consacrée à ne pas mettre de mots sur des maux, en foulant aux pieds l’élémentaire réalité. Osons dire que depuis quelque temps
les incidents se multiplient. Sans remonter aux calendes grecques rappelons la fâcheuse scène de la plage de Sisco, squattée par des baigneuses en tchador. Ou encore des pompiers attirés dans un guet-apens, Jardins de l’empereur a Ajaccio, qui entraina les débordements que l’on sait. En incidence il est établi que même si ils n’en ont pas le monopole certains non corses s’impliquent pleinement dans le trafic de stupéfiants et dealent au pied d’immeubles, au grand dam de la population. Professer que cela est accessoire est synonyme d’ignorance qui contribue au malaise qui s’instaure en certains points des agglomérations. Elle alimente la cassure entre riverains de confessions ou d’origines différentes. Avec en point d’orgue le refus de côtoyer les locataires venus d’ailleurs.
CIRCONSCRIRE LE FOYER
Prévenir, éviter que ce rejet se propage jusqu’à la rupture et l’affrontement, est encore possible. Il implique nécessairement de flétrir sans atermoiements cet esprit de bande qui à bas bruit s’accapare des territoires. Ou dévolu à faire régner une loi que les locaux n’acceptent pas. La Corse a assez de ses problèmes sans que plane le spectre d’un conflit, pour l’instant larvé qui porte en germes de graves débordements. Loin de nous la volonté d’un syllogisme religieux. Bien au contraire. Notre propos est aux lisières du cri
d’alarme qui tend à ne pas mélanger les serviettes et les torchons. Mais de réitérer le fait prégnant qu’au sein d’une communauté une minorité agissante n’est pas blanc- bleu. Elle doit être sans stigmatisation mise sous le boisseau par la force de la justice. Prendre cette affaire à bras le corps est non seulement souhaitable mais aussi urgente. À trop laisser l’eau couler sous les ponts les implacables mécanismes connus sous d’autres cieux auront ici un terreau fertile pour progresser. Avec cette nuance fondamentale que chez nous la révolte peut prendre un tour dramatique.
EXEMPLES PROBANTS
Rétorquer que cela est une exagération ou procède de prévisions infondées ne résistent pas à la claire vision. En tous lieux les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il suffit de jeter un œil par-dessus le bras de mer pour en être édifié. Là-bas aussi on adopta la méthode Coué. Le résultat? Des personnes voulant rejoindre leur domicile contraints de se justifier au hasard de barrages dressés par des délinquants.
Au vu au su des policiers avouant leur impuissance. Bien sûr la dialectique extrémiste doit être chassée des esprits. Sans conteste jeter de l’huile sur le feu ne peut satisfaire. Mais entre le refus de certaines thèses et le déni existe une voie médiane pétrie dans le réalisme. Celle qu’il faut impérativement emprunter au nom de la quiétude à retrouver. Elle tient un seul mot : lucidité.
CONDITIONS D’ACCUEIL
L’antidote ? Répéter à l’envi que la Corse accueille, tolère, ceux qui ne se croient pas en terrain conquis. Mais qui se plient de bonne grâce ou par obligation aux usages, habitudes et culture du pays hôte. Si cela leur est trop pesant, ou si l’envie leur prend de passer outre, rien ne les oblige à séjourner sur notre sol.
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