A Buttea Educativa
L’épicerie de la dignité
Redonner un statut de consommateur aux personnes en situation de précarité, avec le sens d’une gestion plus rigoureuse et raisonnée du budget familial. Tel est l’objectif poursuivi par l’épicerie « A buttea educativa ». Administrée par le Centre Communal d’Action Sociale de la Ville de Bastia, cette structure d’accueil et d’accompagnement a ouvert ses portes quartier de Saint-Joseph.
Par Petru Altiani
En Corse, près de 20% des habitants vivent dans un foyer avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté. Coût de la vie plus élevé que sur le continent et marché du travail atone en sont les principales raisons.
Dans le processus de marginalisation, la pauvreté est un élément important, mais n’est pas seule en cause. En effet, les populations, en situation précaire, cumulent toujours plusieurs handicaps, à la fois matériels et psychologiques. Quand se superposent, par exemple, surendettement, divorce et chômage, on est en situation de précarité, alors que chaque problème, pris isolément, n’est pas insurmontable.
À Bastia, considérée comme l’une des villes les plus pauvres de France, un schéma directeur de l’action sociale municipale a été défini, piloté notamment par Serge Linale, adjoint au maire délégué à la cohésion sociale, aux liens intergénérationnels et au logement social.
Pour Jean-Jacques Dussol, conseiller municipal à ses côtés et vice-président du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS), « le social est l’affaire de toutes les politiques, qu’elles soient éducatives, sportives, culturelles ou encore qu’elles traitent de l’aménagement urbain. Dès lors, la concertation entre les différentes orientations permet de réaffirmer la place des Bastiais au cœur de nos actions et ce quel que soit le public : jeunes, personnes âgées, personnes en situation de handicap, familles monoparentales… ».
Et d’ajouter : « Le CCAS s’est restructuré en 2018 afin de se donner les moyens préconisés pour mettre en place une politique sociale plus optimale. L’un des principaux objectifs est de passer d’une politique d’assistance à une politique éducative permettant de réduire les exclusions sociales. »
Parmi ses actions, le Centre Communal d’Action Sociale de la Ville de Bastia, soutenu par d’autres financeurs tels que la Collectivité de Corse et la DRAAF (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Corse), a récemment créé l’épicerie éducative « A buttea educativa ». Installée dans le quartier Saint-Joseph, cette structure d’accueil et d’accompagnement a ouvert ses portes début avril. Le concept n’est pas très répandu en France. Dans l’île, la Ville d’Ajaccio est dotée d’une épicerie éducative depuis maintenant 14 ans et enregistre des résultats plus que satisfaisants auprès des publics concernés.
Éviter la logique d’assistanat
« Ce projet répond au développement de l’axe 3 du schéma directeur décliné par la Ville de Bastia », déclare Jean-Jacques Dussol. « Cet axe consiste à éduquer, rendre automne et digne. Il s’avère, en effet, qu’une part des foyers aidés par le CCAS dans le cadre de ses dispositifs historiques (bons alimentaires, soutien financier au règlement des factures…) ont un potentiel financier qui, en gérant le budget familial de façon plus rigoureuse, leur permettrait d’éviter la logique d’assistanat dans laquelle ils peuvent s’ancrer. »
L’épicerie éducative est un lieu d’accueil configuré au plus proche d’un magasin de quartier classique. « On y retrouve pas moins de 113 références », explique Paulina Bagard, responsable de la structure, auprès du directeur du CCAS, Jean Giambelli et de Jéromine Andreani, assistante.
« La seule condition étant d’être en situation d’endettement. Les conditions d’éligibilité aux services de l’épicerie sont, en effet, d’avoir une ou plusieurs dettes d’un montant au moins égal à l’aide de l’épicerie et de pouvoir justifier d’un potentiel financier permettant l’acquisition d’une autonomie grâce à ce dispositif. »
Un dispositif à travers lequel la notion éducative a une place prédominante qui se différencie des aides d’assistanat classique qui ne permettent pas forcément de régler les problèmes en profondeur. L’orientation des familles vers l’épicerie peut être assurée par les assistantes sociales du CCAS, de la Collectivité de Corse, du monde associatif ou encore de l’Office HLM. Elle est ensuite soumise à l’évaluation et à la décision de la Commission d’Aide du CCAS qui se réunit chaque jeudi.
10% du prix d’achat réel
La mauvaise gestion budgétaire est parfois due à une mauvaise organisation générale de la vie de famille. Tenir un budget veut dire aussi anticiper et prévoir les dépenses. C’est tout le sens de l’épicerie éducative du CCAS de Bastia.
« L’épicerie permet à ces foyers de pouvoir faire face à leurs dettes en bénéficiant d’une aide qui met à leur disposition des produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité moyennant une participation financière de 10% du prix d’achat réel ; les 90% restants étant pris en charge par le CCAS », précise Paulina Bagard, par ailleurs conseillère en économie sociale et familiale. « Un panier de 250 euros mensuel de courses revient, par exemple, à 25 euros pour le bénéficiaire. Ce soutien engage la famille bénéficiaire à réduire ses dettes en signant un contrat. »
« Cette aide est allouée sur une période déterminée pouvant aller de quatre à six mois. Quatre à six mois pour relever ce qui est un véritable défi pour les publics concernés. S’ils n’y parviennent pas, ils pourront être réorientés vers d’autres dispositifs », poursuit Jean-Jacques Dussol. « Outre une aide financière, l’épicerie a une volonté éducative forte. Le but étant de sortir les familles de leur situation d’endettement en les responsabilisant. »
« L’épicerie apporte donc un accompagnement dans le cadre d’un suivi individuel mené par notre conseillère en économie sociale et familiale. Réalisé en toute confidentialité et sur rendez-vous, les entretiens individuels sont l’occasion de faire le point sur la situation budgétaire globale de la famille. Des visites à domicile ainsi que des menus pour la semaine ou une liste des courses peuvent également être mis en place. »
Rétablir la confiance
Chaque semaine, les bénéficiaires participent à des ateliers collectifs ludiques et conviviaux sur les thèmes de la gestion de budget familial, la gestion administrative ou encore la maîtrise de la consommation. Des ateliers de cuisine sont aussi proposés. Ils visent à acquérir ou valoriser des compétences et savoir-faire, souvent en étroite collaboration avec A Casa di l’Anziani, un espace également administré par le Centre Communal d’Action Sociale de Bastia. Réservé aux séniors, celui-ci accueille au quotidien des ateliers informatique, de coiffure, des thés dansants et autres divertissements « pour rétablir la confiance, l’estime de soi, le lien social et lutter contre l’isolement qui est une spirale mortifère », souligne Jean-Jacques Dussol, élu de proximité dont l’engagement et le dynamisme sont le moteur de toutes ces actions.
« Ce dispositif n’a pas vocation à se substituer au règlement des factures, bien au contraire. Il y a une réelle vocation éducative », insiste-t-il. « Cela suppose un réel gage de réussite avec un potentiel de départ des familles dans la possibilité de se sortir de cette situation. »
« La majorité des dettes concerne la multiplication de crédits revolving ou encore les factures d’électricité et de gaz. Il nous arrive aussi d’intervenir sous forme de conciliation de sorte à favoriser, notamment entre EDF et la personne en difficulté, la mise en place d’un plan d’apurement. Dans certains cas, les foyers vivent au-dessus de leurs moyens avec par exemple, malgré de faibles revenus, plusieurs abonnements de téléphones mobiles », constate Jean-Jacques Dussol.
« En ces temps de vie chère et de baisse du pouvoir d’achat, il est indispensable d’éduquer les familles et, en particulier, d’inviter les jeunes couples à reconsidérer leurs dépenses afin de leur permettre d’acquérir des techniques d’une gestion plus rigoureuse et raisonnée du budget familial. »
Suivi personnalisé
Pour l’heure, six familles bénéficient de l’accompagnement de l’épicerie qui s’approvisionne auprès de trois fournisseurs, retenus dans le cadre d’un marché public, à savoir E. Leclerc, NRJ Primeur et la SEDDA. Cette dernière « a, par ailleurs, fait don de matériels de congélation et de rayonnage », indique Paulina Bagard. Le CCAS s’est fixé, pour l’année 2019, d’assurer, à travers un budget global de denrées alimentaires de 42 110 euros, l’accompagnement de quarante familles, couplé à un suivi personnalisé pouvant se poursuivre à l’issue de la période de quatre à six mois déterminée au titre du dispositif, pour mettre tous les atouts du côté de celles et ceux qui en ont besoin…
Renseignements CCAS : www.bastia.corsica
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