A la une – Fév 2017

Et si la démocratie faisait faillite ?

A la veille d’une élection présidentielle et après une phase de sélection des candidats des deux principaux partis de gouvernement, de nombreuses secousses ébranlent la démocratie.

Par Vincent de Bernardi

On a beaucoup dit que le Brexit en Grande-Bretagne comme la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis, deux faits majeurs déjouant tous les pronostics, ont marqué la défaite des élites et de l’establishment.

Dans une tribune publiée dans Le Monde récemment, le philosophe conservateur Roger Scruton soulignait combien dans les deux cas, l’élite libérale a négligé, voire même dénigré les classes populaires. Elle a rejeté ses préoccupations et ses inquiétudes sur l’immigration, la mondialisation ou les conceptions libérales du sexe aux motifs qu’elles étaient racistes, sexistes, islamophobes. Pour Sruton, les classes populaires sont  vues par les élites comme des perturbateurs de la démocratie, mettant son projet libéral en danger.

En France, déjà en 2011, le Think Tank Terra Nova avait expliqué que la gauche sociale-démocrate devait lâcher les catégories populaires, et particulièrement la classe ouvrière. Ce n’était pas tant le divorce entre les ouvriers et les employés d’une part et les socialistes de l’autre qui était nouveau, mais bien la théorisation du phénomène, sa traduction en actes politiques et programmatiques.

 

Rejet de l’élitisme

Pour aller vite, selon Terra Nova la classe ouvrière avait définitivement basculé vers un populisme aux relents xénophobes. Elle ne partageait plus les mêmes valeurs que la gauche. Alors à quoi bon perdre son énergie à la récupérer ? L’urgence était bien à la constitution d’un nouveau noyau de gauche, un électorat de remplacement constitué de jeunes, de femmes, de diplômés, des « minorités ».

Cette approche illustre bien la situation dans laquelle se trouve le pays en proie à des tentations populistes de plus en plus fortes. Ceux qui rejettent le système élitiste en sont, pour l’instant, les principaux bénéficiaires.

Plus profondément et en contrepoint d’une analyse promue par des intellectuels conservateurs, la position du linguiste et essayiste italien Raffaele Simone se fonde sur le constat d’une profonde crise de ce qu’il appelle « l’hypothèse démocratique ».

 Dans son dernier livre intitulé « Si la démocratie fait faillite », il décrit la fragilité des trois piliers des régimes démocratiques. Le premier, ce sont les institutions dont la légitimité est de plus en plus contestée parce que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Le second, plus profondément atteint, c’est la mentalité qui permet à la démocratie de fonctionner. Raffaele Simone souligne le développement de ce qu’il appelle « une anthropologie pessimiste » poussant les hommes à  l’affrontement et la violence plutôt que vers la coopération et le compromis.

Cette tendance rend la démocratie vulnérable et met à mal la mythologie démocratique, croyance qui tend à faire de l’impossible une action envisageable.

 

Clientèles et bien commun

Pour lui, c’est cet édifice précaire qui vacille sous l’effet conjugué de différentes tendances. En Italie,  il s’est traduit par les succès du Mouvement 5 étoiles, gauchisant et anti-establishment ; en France, c’est Nuit debout ; aux Etats-Unis, Occupy Wall Street…

Si ces différents mouvements incarnent une simple opposition morale sans véritables propositions, ceux qui affichent des programmes d’actions plus ou moins complets, fondés sur une remise en cause du système pourraient peser à l’avenir.

 Il rejoint en cela l’analyse de Roger Scruton en soulignant que les gouvernants vivent dans un monde à part, ignorant les inquiétudes suscitées par l’immigration et la mondialisation, confisquant le débat et préférant servir des clientèles plutôt que le bien commun.

Raffaele Simone voit deux destins possibles : la « démocratie despotique », où l’exécutif confisque le pouvoir au peuple, dans l’indifférence quasi générale ; ou une « démocratie volatile » marquée par une instabilité chronique.

Culture du plébiscite

Si le raisonnement de Scruton diffère, il en arrive à une analyse similaire.

Pour lui, la démocratie représentative cède partout la place à une nouvelle culture du plébiscite et l’idée que les décisions prises au nom du peuple le sont par des personnes qualifiées est révolue, ouvrant la voie à une instabilité chronique.

A ce stade, l’hypothèse de la volatilité est sans doute la plus souhaitable !

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.