A la une – Mai 2016
Les sondages une arme et un piège
Si l’élection avait lieu dimanche…
Souvent oubliée, plus fréquemment ignorée, cette phrase est pourtant l’élément indispensable des questions d’intentions de vote dont les media nous abreuvent avant chaque élection. Et ce n’est pas fini, tout simplement par que nous en raffolons.
Par Vincent de Bernardi
On a beau critiquer les sondages et les sondeurs, on a pourtant les yeux rivés sur les classements, sur les mieux placés dans la course aux primaires, attendant pour les uns un renversement de tendances, pour les autres la persistance d’une hiérarchie que l’on voudrait croire solide comme un roc. On en raffole parce qu’on aime se faire peur avec les intentions de vote toujours plus hautes de Marine Le Pen, auxquelles il faudrait d’ailleurs ajouter celles de Jean Luc Mélenchon pour estimer la tentation populiste qui traverse le pays. Peut-être ne voulons-nous pas revivre un 21 avril 2002, où contre toute attente, le FN parvenait au second tour de l’élection présidentielle ? En bref, on veut savoir avant. Et tant pis si tous les candidats de sont pas déclarés. On veut des sondages prédictifs alors même que toutes les notes méthodologiques, de plus en plus longues et détaillées, disent qu’un sondage n’est pas une prévision pour l’avenir, mais seulement pour dimanche prochain, et encore… Mais alors à quoi bon voter ! Je ne rentrerai pas ici dans le débat bourdieusien qui fait encore couler beaucoup d’encre, en particulier chez ceux qui se sentent maltraités par les chiffres. Je l’avoue, j’aime les sondages, de toutes sortes. Je les décortique, les analyse, les compare. Car au-delà de chiffres, des ordres d’arrivée, des popularités, des jugements sur les traits d’image, ils disent beaucoup de l’état de notre démocratie, des rapports sociaux. Ils révèlent les aspirations et les inquiétudes des différentes classes d’âge, des catégories socio démographiques. Ils permettent de comprendre mais aussi d’anticiper des comportements électoraux.
Recomposition politique
Derrière le rejet de l’exécutif, le discrédit à un niveau encore inédit du chef de l’Etat, le souhait largement partagé de pas rejouer le match de 2012 en 2017, la tentation des extrêmes, c’est une recomposition politique qui est à l’œuvre. Il y a ceux qui pensent que le vieux clivage gauche/droite est mort, ceux qui ne croient plus dans la capacité des hommes ou des femmes politiques à redresser la situation du pays, ceux qui attendent l’homme ou la femme providentiel, ceux qui veulent renverser la table, ceux qui veulent tout changer pour que rien ne change… La politique, comme le reste, est en pleine transformation, à tel point que beaucoup rêvent à l’union nationale faisant travailler ensemble les ennemis d’hier. Tous les sondages sur ce sujet plébiscitent cette solution. Sauf qu’à l’approche des élections, chacun retourne dans son camp et jamais rien ne se fait parce que la politique est un combat. Si elle cesse de l’être, elle perd une partie de son attrait.
Lorsque l’on demande aux Français de dire de quel parti ils se sentent le plus proche, le premier parti de France est connu sous le nom bizarre de « SPP », pour sans préférence partisane. Les militants ou sympathisants de ce parti et notamment l’important contingent des plus jeunes, savent pour autant bien se positionner sur une échelle allant de l’extrême gauche à l’extrême droite. Anne Muxel, directrice de recherche au CEVIPOF qui a conduit de nombreux travaux sur le rapport des jeunes à la politique, montrent bien, sondages à l’appui, que les 18-24 ans ont un comportement électoral de plus en plus proche de celui du reste de la population. Elle a constaté que la spécificité du « vote jeune » par exemple, tendait à s’effacer, cette classe d’âge suivant de plus en plus les fluctuations et les mouvements de l’ensemble du corps électoral. J’aime les sondages parce qu’ils font bouger les lignes, bousculent les campagnes et leur mécanique bien rodée, orientent la stratégie des différents protagonistes.
Un certain 21 avril…
Les sondages ? Associés aux études électorales, ils sont une arme pour certains. Dépourvus de profondeur d’analyse, ils sont un piège pour les autres. Historien et démographe, Hervé le Bras, dans son livre « Le nouvel ordre électoral – tripartisme contre démocratie » montre que face à l’instabilité de l’opinion en amont des scrutins, l’analyse des données électorales, associées à celles des sondages, permet de tirer des enseignements utiles voire des modèles prédictifs laissant entendre qu’un Front national à 25 ou 30% laisse présager une longue période de domination de la droite républicaine. Quoi qu’il en soit, si l’élection avait lieu dimanche, les choses se passeraient vraisemblablement comme les sondages le disent. Les mauvaises langues pourront toujours rétorquer qu’aucun institut n’avait vu venir le 21 avril 2002. Ils n’ont pas tort. Cela étant, ils disaient ce que leurs enquêtés déclaraient et s’ils avaient dit que Jean-Marie Le Pen serait présent au second tour (alors qu’il talonnait déjà sévèrement Lionel Jospin), celui-ci ne se serait peut-être pas qualifié pour le second tour. Mais ça s’était en 2002. Et c’est vieux. Très vieux.
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