À qui profite la crise ?
La crise économique et sociale consécutive à la pandémie va-t-elle donner un avantage comparatif aux mouvements populistes dans les scrutins à venir ? Cette question agite beaucoup les politologues et les commentateurs.
Par Vincent de Bernardi
Au-delà des sondages, ils appuient leurs analyses sur l’histoire électorale dans les pays occidentaux. Depuis une quinzaine d’années, ils observent que la montée du vote « national populiste » prend racine autant sur les inquiétudes économiques que sur la crainte d’une immigration incontrôlée, tout au moins en Europe. Gilles Ivaldi et Oscar Mazzoleni, deux chercheurs en sciences politiques (l’un à Science Po Paris, l’autre à l’université de Lausanne) sont allés plus loin en modélisant les probabilités de vote national populiste dans cinq pays : la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suisse et les États-Unis. Leur étude montre que les préoccupations économiques consécutives au Covid-19 augmentent les chances des partis dits populistes de droite. De là à dire qu’il y a un effet mécanique entre niveau des inquiétudes et probabilité de vote, c’est une frontière théorique que les deux chercheurs ne franchissent pas. Pour autant, leur étude est éclairante sur les effets potentiels de la crise dans les comportements électoraux.
En Italie, ils notent une corrélation importante entre inquiétude économique et potentiel vote populiste. La probabilité de voter pour les Fratelli d’Italia ou plus marginalement la Lega, augmente fortement chez ceux qui se disent les plus touchés par les conséquences économiques de la pandémie. Une situation également observée en Suisse. En France et en Allemagne, cet effet apparaît encore limité. Les électeurs les plus inquiets ne sont pas, pour le moment, les plus enclins à voter pour le Rassemblement national ou pour l’AFD dont les leaders n’ont pas réussi à instrumentaliser suffisamment la crise sanitaire malgré leurs critiques à l’égard de l’action d’Emmanuel Macron ou d’Angela Merkel.
Les oppositions à la peine
En France, la popularité de Marine Le Pen est demeurée stable autour de 30% d’opinions positives depuis le début de l’année. Le pourcentage de Français voyant le Rassemblement national en tant que principale force d’opposition recule depuis un an, de 43% en septembre 2019 à 31% en septembre 2020.
Outre-Rhin, si l’Alternative für Deutschland (AfD) n’a pas « profité » de la crise, c’est surtout pour cause de divisions internes. Après avoir connu une croissance électorale importante depuis plusieurs années, sous l’effet notamment de la « crise » migratoire de 2015, elle stagne autour de 10% d’intentions de vote depuis le début de la crise sanitaire, derrière les verts et les sociaux-démocrates du SPD. Une distinction mérite d’être établie néanmoins entre la partie occidentale et les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Est : dans ces derniers, l’effet des inquiétudes économiques relatives à la pandémie est plus net et augmente de manière plus substantielle la probabilité de vote en faveur de l’AfD.
Les populismes à l’affût
En contrepoint, la situation outre-Atlantique répond à une mécanique inverse. Les plus inquiets de la pandémie et de ses conséquences ont été moins prompts à voter pour Donald Trump. À tel point que l’on peut considérer que les préoccupations économiques issues du Covid-19 ont été le « talon d’Achille du Trumpisme » notamment au sein de l’électorat modéré qui paraît avoir été le plus sensible à l’échec de la gestion par le président sortant de la crise sanitaire.
Si la crise n’agit pas partout de la même façon sur le vote « national -populiste », il apparaît toutefois que les partis d’extrême droite en Europe capitalisent sur la frustration de la frange de l’électorat la plus soucieuse sur le plan économique et social. L’Italie en est une bonne illustration. Déjà fragilisée par la crise de 2008, la péninsule pourrait voir les mouvements populistes renouer avec le succès, une fois la crise sanitaire passée.
Impact électoral ?
Cette étude inédite, qui s’appuie sur l’enquête internationale SovPop (Souveraineté et Populisme) réalisée au mois de septembre dernier dans chacun de ces pays, souligne les effets potentiels de cette crise sur les démocraties libérales et leur degré de vulnérabilité dans des circonstances qu’elles n’avaient jamais connues.
À l’approche des prochains scrutins, il sera intéressant d’avoir cette grille d’analyse en tête pour comprendre les évolutions dans les comportements électoraux, y compris au niveau régional.
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