Au nom du peuple !

Alors que certains ici s’emploient à faire entendre le bruit et expriment leur fureur, attaquant pèle mêle, les journalistes, les juges, les policiers, d’autres, ailleurs, agissent froidement mais surement pour saper les fondements de la démocratie.

 Par Vincent de Bernardi

En Italie, Matteo Salvini, veut imposer un couvre-feu, au nom du respect de l’ordre public et de la baisse de criminalité, aux épiceries et magasins tenus par des étrangers. En Hongrie, Viktor Orban interdit aux sans-abri de dormir dehors pour permettre « aux citoyens de circuler sans entraves ». Outre -Atlantique, les autorités américaines ont commencé l’édification du « mur Trump » le long de la frontière mexicaine. Ce ne sont là que des exemples d’une politique autoritaire, « illibérale » attendue par les électeurs et donc d’essence démocratique.

Des Etats-Unis à l’Europe, ce populisme est, selon Thomas Branthôme, historien du droit et des idées politiques, moins un concept analytique qu’un outil stratégique. Il sert à disqualifier celui qui conteste l’ordre établi. Mais c’est aussi une étiquette qu’on appose sur tout discours contestataire afin de le discréditer. Il souligne que cette posture est loin d’être suffisante si elle ne s’accompagne pas d’une prise de conscience de ce qui se joue, c’est-à-dire l’effacement du peuple dans le processus démocratique.

Citant le constitutionnaliste Maurice Duverger qui parlait de « démocratie sans le peuple », Thomas Branthôme précise que ce phénomène prend sa source dans le sentiment d’une perte de souveraineté. La contestation de l’Union Européenne pas seulement à travers le Brexit, en est une illustration. Il invite à s’interroger sur le sens de cette souveraineté dans une économie globalisée ou les centres de décisions sont lointains et déconnectés du réel.

 

Identité et liberté

Et si ce retour au populisme n’était pas simplement le résultat d’une politique qui proclame haut et fort que le peuple est encore souverain alors même que ce dernier sait qu’il ne l’est plus depuis longtemps ? Il est alors prêt à renoncer aux libertés individuelles pour sentir qu’il est encore souverain. C’est ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne notamment. Ces eux pays votent, au nom du peuple, des lois liberticides portant atteintes à la vie privée.

Dans son dernier livre « La fin des libertés », la philosophe Monique Canto Sperber évoque des « régimes hybrides, recourant à des élections libres mais dans lesquels les institutions libérales sont progressivement privées de sens » : menace sur l’indépendance de la justice remise en cause des protections accordées aux minorités restriction de l’espace laissé aux contre-pouvoirs, à la presse indépendante et aux ONG. Pour elle, ils se nourrissent de la peur ressentie par une partie de la population de voir se dissoudre l’identité culturelle et nationale sous l’effet de l’immigration et du multiculturalisme. Et c’est bien pour préserver cette identité que les peuples sont prêts à renoncer à certaines de leurs libertés. Monique Canto Sperber souligne d’ailleurs que l’on assiste davantage à une fatigue à l’égard de la liberté qu’à l’égard de la démocratie avant d’ajouter que les ambitions démocratiques ne vont pas toujours de pair avec la défense de la liberté ou les droits des minorités.

 

L’immigration à l’index

Dans ce contexte, deux ans après l’élection de Donald Trump, alors que la crise des réfugiés continue de produire ses effets dans l’ensemble de l’Europe, l’IFOP a interrogé les Français sur l’avenir des démocraties. Premier enseignement, en comparant la situation actuelle par rapport à celle d’il y a quelques années, la démocratie apparaît plus fragile aux États-Unis (64%) que dans l’ensemble de l’UE (56%), et qu’en France (52%). Deuxième enseignement, les Français expliquent les votes protestataires et la montée des populismes en Europe d’abord par l’immigration, citée en premier (32%), loin devant les dégradations des conditions de vie (23%), les problèmes de sécurité (12%), les problèmes d’intégration des personnes d’origine étrangère (13%), le chômage (9%), le sentiment de déclassement social (7%) et la corruption (4%). Pour eux, les plus responsables de la montée populiste en Europe sont d’abord les gouvernements nationaux (47%), loin devant l’Union européenne (33%).

 

Le verdict des urnes

L’idée que les médias pourraient être responsables en nous informant mal n’est partagée (que) par 20% des personnes interrogées. Si les Français paraissent encore animés d’un relatif attachement à leurs libertés individuelles, des peuples européens semblent se satisfaire des restrictions au pluralisme, au débat, pourvu que l’autorité et la défense de l’identité soient là. Les prochaines élections des députés au Parlement Européen, aujourd’hui composé d’un cinquième de parlementaires issus de partis d’extrême droite ou d’extrême gauche, se feront sans doute en partie sur ces questions.

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