Macron fait de la résistance active
Une venue alliant mémoriel et politique. La dialectique épique commémorant la Libération de la Corse se conjuguant aux déclarations relatives aux mutations institutionnelles. Appel au consensus régional, synthèse des thèses antagonistes. Fidèle à sa doctrine, l’augure présidentiel opta pour un diplomatique en même temps, tentant d’allier ce qu’il croit souhaitable et possible pour une plausible autonomie aux couleurs de la Corse. Le début d’une longue marche.
Par Jean Poletti
À qui voulait bien décrypter le propos du ministre de l’Intérieur, envoyé en missi dominici, la motion de l’Assemblée de Corse pour majoritaire qu’elle fut ne serait pas gravée dans le marbre. L’éloquent silence de Darmanin était en creux riche d’enseignements. Certes, il martelait que l’hôte de l’Élysée était seul et unique détenteur des réponses. Mais des phrases savamment distillées pouvaient légitimement s’apparenter à des indices probants. Ainsi, la déclinaison de plausibles prérogatives agricole ou énergétique laissaient à penser qu’une autonomie globale figurerait aux abonnés absents.
Si certains préféraient se satisfaire de l’écume des choses, et du formalisme du ministre-éclaireur, d’autres plus suspicieux croyaient déceler une sorte de préparation des esprits. Tout en fissurant l’espace de ceux qui campaient sur le statu quo. Ou préféraient à l’image de Jean-Martin Mondoloni d’adapter la loi plutôt que de tenter d’en d’adopter une nouvelle. Une seule voyelle qui pourtant inscrit une différence au niveau de la fracture. D’autres, dans une sorte de réminiscence du projet Joxe, apparentaient le projet évolutionniste à l’antichambre de l’indépendance. Ou à contrario ne décelaient qu’artifice illusoire. En incidence Laurent Marcangeli affirmait sans ambages que dans ce dossier l’échec est interdit. Transcendant les ukases et formules couperet, le député se dit prêt à apporter sa pierre à l’édifice. Mais pas à n’importe quel prix.
Le rappel des frontières
Sans verser dans la psychologie de comptoir, nul n’ignore qu’Emmanuel Macron porte en bandoulière la volonté d’être le maître des horloges. Qu’elle soit efficiente ou illusoire. Aussi tels préféraient malgré ces signaux négatifs diffus s’engoncer dans l’expectative. Teinté d’espoirs de craintes ou de fatalisme.
En bannissant tout élément de fiction, osons dire que le chef de l’État jouait à maints égards sur du velours. En plaidant, ou faisant dire, l’unité préalable et sans faille de la représentation politique régionale il savait pertinemment qu’un tel horizon s’apparentait à la gageure. Parallèlement, il traça à plusieurs reprises des frontières à ses yeux indépassables ayant trait à la notion de peuple, coofficialité, ou statut de résident. Le véto n’est pas amendable, martela celui qui naguère professa pourtant que nul sujet n’était tabou. Comme disait excellemment Edgar Faure, ce n’est pas la girouette qui change de direction, mais le vent. Dont acte. Mais alors pourquoi lors des émeutes de la jeunesse avoir habillé Darmanin en pompier de service pour éteindre l’incendie qui utilisa le mot d’autonomie comme éventuelle clé de voûte de la réforme. Vaine promesse ? Rares ceux qui crurent à une formulation malhabile ou improvisée. Ni que cette perspective ait été le fruit d’une initiative personnelle du ministre. Nul besoin d’être grand clerc ou rompu à l’analyse pour affirmer quelle fut au préalable validée par l’autorité suprême. Tous ces atermoiements, volte-faces, témoigneraient-ils d’une absence de véritable stratégie ? Sont-ils liés aux postulations entre démarches girondines et jacobines, qui assaillent depuis six ans déjà Emmanuel Macron sur l’épineux dossier Corse ?
Oublié Chevènement
Qui n’a par ailleurs plus souvenance de sa première visite insulaire ? Sa parole fut glaciale, sabrant les velléités d’avancées statutaires. Sous le regard goguenard d’un Jean-Pierre Chevènement qui faisait partie de l’aréopage. Un signe aux lisières du subliminal, concernant la présence de celui qui démissionna lors des fameux lundis de Matignon initiés par Lionel Jospin. Et qui adouba Bernard Bonnet au palais Lantivy, tout feu tout flammes avec les paillotes. Afin de ne pas noircir le tableau, nous ferons grâce de la fouille au corps de Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, leaders de la Collectivité territoriale. Ou encore des délibérations qui devaient en urgence absolue être sur le bureau élyséen avant le 14 juillet dernier.
Ces rappels sommaires ne sont nullement dévolus à ressasser le passé. Ils ont pleinement leur place pour fixer les esprits et mieux appréhender l’actualité.
Un présent marqué par le périple au pas de charge d’un Président soucieux, selon l’expression consacrée, de donner désormais du grain à moudre aux édiles régionaux. En toile fond de ce périple, il déroula au fil de ses étapes l’impérissable souvenir de la Libération de l’île, qui se débarrassa du joug de l’occupant huit mois avant l’Hexagone. Toutefois, la séquence mémorielle, pour importante qu’elle fut, ne s’engonça pas dans l’héroïsme, renvoyant au Tous Bandits d’Honneur, pour reprendre l’intitulé du livre de Maurice Choury. Elle laissa place à un temps politique à l’évidence attendu.
D’un symbolisme, l’autre
Avant d’en relater les faits et adjoindre des commentaires, d’aucuns observèrent légitimement que la rencontre avec les édiles devait initialement avoir exclusivement pour cadre les jardins de la préfecture de région. Symbolisme ? Indication feutrée de la primauté étatique sans partage ? Les supputations ne furent pas usurpées. Mais finalement le Président prêta-t-il une oreille attentive à quelque conseiller ami et décida de se rendre à l’Assemblée de Corse. Ce faisant, il se mettait dans les pas de François Mitterrand, Nicolas Sarkozy et François Hollande qui choisirent l’Assemblée de Corse pour délivrer leurs messages. Toutefois fut martelé sans fards ou évoqué en incidence le maintien de la Corse dans la République, et le refus de créer deux catégories de citoyens. Telle furent les limites de l’exercice déclinées par le chef de l’État. Quels que soient les arguments juridiques ou constitutionnels, il y eut loin de la coupe aux lèvres tant le concept ambitieux baptisé Autonomia avait les ailes rognées. Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Ou à l’inverse tenir pour acquis des déclarations certes volontaristes mais cependant bordées de difficultés ?
Une « autonomie à la Corse » à inventer et à construire passera inévitablement par deux étapes successives et semées d’obstacles. D’abord, dans un délai de six mois les élus régionaux auront la lourde responsabilité d’élaborer collectivement un projet pour l’avenir insulaire. Ensuite subir le tamis du congrès, dont le verdict est à tout le moins incertain en regard de la relative faiblesse de la représentation présidentielle.
La parole au peuple
Dans l’intervalle un référendum local sera organisé pour trancher sur l’adhésion à la nouvelle mouture du processus. Dans un récent sondage exclusif du mensuel Paroles de Corse, l’opinion se montrait largement favorable aux avancées institutionnelles. Réitérera-t-elle ce choix dans les urnes ? La probabilité est grande. Cette consultation, qui n’a aucune valeur juridique, aura l’insigne mérite de conforter, si besoin, la démarche aux yeux du palais Bourbon et surtout du Sénat dont on sait depuis longtemps les réticences à un éloignement, fut-il sans divorce, avec l’unité républicaine.
Au-delà des supputations, commentaires et assertions, cette fois Emmanuel Macron a ouvert le jeu. Mais il évoque aussi en filigrane les fameux principes de réalité qui, au risque d’insister, se fondent dans le creuset du consensus que seront capables de générer nos élus, et en ombre portée l’accueil qui sera réservé par la représentation nationale. En bannissant tout jugement de valeur relevant du parti pris, nul ne disconviendra que le Président a posé une première pierre. Mais chacun est en corollaire conscient que des efforts conjoints, ici comme sur les bords de la Seine, seront nécessaires pour parvenir à bâtir la Corse de demain. Celle qui bénéficiera de nouvelles prérogatives, sans pour autant déroger aux principes constitutionnels. D’aucuns diront que l’avenir reste à écrire avec la plume du volontarisme et l’absence de chausse-trape. Bref délimiter le souhaitable du possible.
Les élus au rapport
Mais ce n’est pas à Gilles Simeoni, et d’autres qui depuis de longs mois s’impliquent dans cette réforme, souvent contre vents et marées, que l’on apprendra l’adage « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Optimisme béat ? Nullement. Se hisser à la hauteur des enjeux qui se dessinent, tel est le pari. Voilà la nouvelle donne. Elle recèle maintes inconnues. Pourra-t-elle être fertile en rebondissements divers et variés. Car comme le disait Napoléon « Rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire. »
Il n’empêche si l’Assemblée de Corse est capable de transcender ses dissensions, elle aura démontré sa capacité à être la sentinelle de l’intérêt supérieur d’une île au détriment de toute autre considération, aussi légitime soit-elle. Dès lors si d’aventure un revers devait se manifester elle aurait beau jeu de s’exonérer de toute responsabilité. Arguant qu’elle fit sa part et qu’elle n’est nullement comptable des décisions prises sur les bords de la Seine.
Père Noël avant l’heure ?
Dans ce droit fil, Jean-Charles Orsucci de souligner fort à propos « On peut dépasser les clivages qui sont mortifères et qui n’aboutiraient qu’au chaos, alors que l’on veut la réussite de l’île. »
Macron, qui en son temps avait dit à Bastia qu’il n’était pas le père Noël, n’est pas venu cette fois avec une hotte vide. Il y avait un cadeau. Certes modeste, mais bien présent. À chacun d’œuvrer pour qu’il ne soit pas empoisonné…
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