Par Jean Poletti
La thérapie de l’austérité pour tenter de redresser les comptes de la nation frappera de plein fouet une Corse déjà économiquement et socialement malade. La cure s’appliquera aussi à la plus pauvre des régions de France. Que les collectivités soient théoriquement épargnées n’est qu’un trompe-l’œil. L’île n’échappera pas aux restrictions dites de droit commun. L’impact sera fort au sein de la population. Pourra-t-il être supporté ?
Par Jean Poletti
À l’heure où tombent les châtaignes, l’île s’engonce dans l’incertitude. Rarement sans doute elle fut prise dans un tel étau qui l’enserre douloureusement. Déjà région plus pauvre de France la voilà également tributaire du coût de la vie le plus élevé, encore aggravé par l’inflation. La vérité, à qui ose déciller les yeux, révèle une néfaste spirale de paupérisation qui s’étend sans qu’affleure l’esquisse d’un salutaire renouveau.
L’État-providence n’est plus. Proche de la faillite, il brandit la hache pour découper le budget et promet du sang et des larmes. Des régions qui malgré tout possèdent encore une faculté de rebond pourront courber l’échine et attendre des jours meilleurs. Mais ici, l’édifice déjà chancelant risque de s’effondrer comme un château de cartes. Certains, empruntant à la méthode Coué, s’engoncent dans un illusoire relativisme. Certes le pire n’est jamais sûr. Nul ne disconvient que des retournements de situations s’avèrent sinon probables à tout le moins possibles. Pour autant ces arguties ne font plus recette. Les socles majeurs de l’activité insulaire sont fragilisés, impactant en onde de choc l’ensemble d’une économie locale dont tous les secteurs sont interdépendants. De manière directe ou incidente. Des pans entiers du bâtiment et des travaux publics se fissurent entraînant la chute de maints corps de métiers sous-traitants. Conséquences similaires s’agissant du tourisme qui traverse une éclipse assombrissant le soleil estival. À cet égard, d’aucuns, sans doute pour se rassurer ou occulter la débâcle, utilisent l’antienne illusoire du chiffre de passagers. Un décompte fallacieux qui confond allègrement vacanciers et voyageurs. Les seules statistiques qui devraient être répertoriées sont celles des nuitées dans les structures professionnelles et en corollaire l’argent dépensé. Paradoxalement, ces données ne sont pas disponibles, alors qu’elles sont les seuls et uniques verdicts d’une saison réussie ou ratée.
Déjà au bord du gouffre
Nous avions esquissé dans une précédente édition les récriminations des hôteliers et restaurateurs. Elles rejoignent les craintes étayées par les présidents des tribunaux de commerce qui évoquent désormais le risque d’un point de non-retour. Sans jouer les oiseaux de mauvais augure ni verser dans le pessimisme exacerbé, il convient de poser un diagnostic sans fards sur la réalité. Rien ne serait pire que de demeurer passif et simple témoin alors que la Corse est sur un chemin de crête, risquant le décrochage économique et social. Le spectre d’un accroissement des faillites se profile, impliquant licenciements et marché de l’emploi, déjà atone, se réduisant comme peau de chagrin. Le constat est d’autant plus cruel que malgré ses indignes potentialités notre région est contrainte de partager la misère. Évidemment, des gens nantis existent et prospèrent. Mais ils ne sont pas à l’abri de déboires tant ils évoluent dans un environnement sans cesse plus ardu pour l’écrasante majorité de la population. Aussi convient-il de s’interroger sur le fameux concept d’essor partagé, fondant une authentique société dynamique l’autorisant à rêver d’avenir harmonieux. Il serait superfétatoire de redire les affres des travailleurs ou retraités pauvres. D’une jeunesse au pied du mur, trop souvent interdite de travail et de logement. Des fins de mois difficiles pour des foyers contraints de rogner sur le chauffage afin d’alléger la note. « Voici venir l’hiver terreur des pauvres gens », clamait Victor Hugo. Sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, osons souligner que le jugement du poète n’est plus usurpé chez nous.
Autocritique salutaire
Ne soyons pas manichéens, il arrive parfois que la stratégie locale pèche par un manque d’efficience pour ne pas dire de rationalité. Disons-le sans fards, nombrilisme et quant-à-soi sont des travers, occultant au gré des circonstances que des réponses aux réalités sont nécessaires. Sans verser dans l’énumération à la Prévert, citons deux mesures emblématiques de veine et nature différentes mais qui éclairent ce jugement. Ainsi engoncés de nos certitudes, nous décrétâmes que le tourisme estival devait être banni, puis ensuite faire des ristournes sur les billets d’avions pour tenter d’accroître les effectifs vacanciers. Dans le même temps, engins de chantiers, maisons et mairies, étaient dynamités. La raison ? Les résidences secondaires et ceux qui accordent les permis de construire. La problématique peut se comprendre, pas les moyens employés. Il est d’autres façons de dire une hostilité à la croissance exponentielle de villas d’estivants. Mais de telles exactions pénalisent en incidence les bâtisseurs, souvent des petites entreprises, dont les commandes s’amenuisent au fil du temps. Dans ce droit fil revient en mémoire l’attentat qui détruisit l’habitation de Georges Charpak. Le prix Nobel de physique avait restauré la bâtisse et fut toute honte bue traité de spéculateur. Amoureux de l’île où il animait fréquemment des colloques, il souhaitait y implanter un accélérateur de particules. À la clé des dizaines d’emplois de chercheurs et une renommée mondiale pour notre région. Déçu, il plia bagages et finalisa son projet à Genève. Ces quelques exemples, sans être majeurs, éclairent cependant le panel de causes aboutissant à ce qu’il convient de nommer le non-développement. Celui qui augmente la cohorte de personnes frappant aux portes d’associations caritatives ou restreignent leurs dépenses au strict minimum.
Pour clore cette digression, qui osera infirmer que le Plan exceptionnel d’investissement octroyé par Lionel Jospin fut partiellement détourné de sa vocation initiale, se soldant par un panel de saupoudrages. Oubliés des pans entiers d’équipements structurants au profit de travaux d’envergure locale pour satisfaite les désirs d’édiles du coin.
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