Dans l’interview d’une personnalité politique, nous cherchons à saisir le moment souvent très bref où le sujet relâche le contrôle de son apparence, de son discours et, par un éclair dans les yeux, un éclat de rire ou encore une main passée dans ses cheveux, lève un coin de voile sur son authenticité humaine. On parvient ainsi l’espace d’un instant, à éviter l’image aseptisée, contrôlée que tente d’imposer la fonction. C’est dans cet état d’esprit, lors de notre rendez-vous, que Caroline Corticchiato, 2e adjointe de la ville d’Ajaccio, conseillère communautaire déléguée aux questions environnementales, a su d’emblée privilégier la sincérité, l’humilité pour témoigner de son engagement auprès de la population du territoire ajaccien.
Parlez-nous de votre parcours ?
J’ai intégré l’hôpital de Castelluccio en 1995 en tant qu’assistante sociale, depuis 2014, je suis cadre socio-éducatif au sein du pôle de psychiatrie adulte et psychiatrie infanto-juvénile. Mon parcours professionnel a toujours été marqué par un engagement auprès des autres.
Comment êtes-vous arrivée en politique ?
Ce fut un choix réfléchi. Laurent Marcangeli m’a proposé de l’accompagner en 2014, intéressé fortement par mon expérience et ma crédibilité dans le domaine du social. Il souhaitait s’entourer de gens compétents dans leur domaine professionnel. Je me suis questionnée longuement sur ce que je pouvais réellement apporter. L’univers politique m’était inconnu mais j’avais aussi la détermination de m’investir pour être au cœur des décisions. Et je savais que m’engager et prendre des responsabilités politiques me permettraient d’agir concrètement. La vision et le projet de Laurent Marcangeli m’ont conquise. Il m’a confié la responsabilité de construire le volet social de ce projet.
Que retenez-vous de cette première expérience ?
En six ans, nous avons su mener un travail sérieux et de qualité, pour faire émerger une politique sociale de territoire. Au début de la mandature, nous savions deux choses essentielles ; un contexte social largement dégradé et un contexte institutionnel qui allait évoluer avec entre autres la disparition des départements. Face à ce constat, nous avons su anticiper et prendre nos responsabilités. Sous mon impulsion, une prise de compétence sociale intercommunale a pu voir le jour. Vous savez, les problèmes sociaux ne se limitent pas à la frontière cadastrale de la ville d’Ajaccio ! Pour une vision globale, pour plus d’efficacité et d’équité, nous avons donc créé, en 2017, le Centre intercommunal d’action sociale, un outil de proximité, qui accueille, informe, oriente, soutient financièrement, anime, mobilise et coordonne. Pour moi, c’était la condition sine qua non pour rendre l’action plus efficace, plus adaptée au territoire de vie des habitants qui utilisent les services publics avec des problématiques multiformes à prendre en compte. Je retiens également à titre d’exemple l’ensemble des dispositifs d’expérimentation mis en place, qui permettent de sortir du droit commun pour répondre aux spécificités des territoires et proposer des actions adaptées et réactives dans les processus d’accompagnement aux personnes. C’est cette même logique qui a prévalu dans l’organisation du colloque sur l’invisibilité sociale. J’ai souhaité que l’on travaille sur cette notion qui nous amène à nous interroger sur les personnes qui sont juste au-dessus des minima sociaux et qui échappent aux radars des barèmes sociaux et des dispositifs d’accès aux droits. Ils ont un logement, font leurs courses, payent leurs impôts. Pour autant, ils n’ont pas un pouvoir d’achat leur permettant d’accéder à certains biens pourtant essentiels à l’intégration au corps social et à la citoyenneté. À mon sens, ces personnes « invisibles » exigent que l’on soit vigilant et que notre action ne soit pas que curative mais bien préventive pour être plus efficiente.
Pour réussir, il faut adapter nos politiques publiques aux changements qui ont traversé notre corps social. Et cela passe par des modes de gouvernance repensés, les dispositifs de droit commun ne correspondent plus à la réalité sociale et c’est pour cela que l’expérimentation doit être utilisée pour prendre en compte les mutations et les spécificités des territoires.
L’autre thème fort, qui a marqué cette mandature, est la campagne de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Le CIAS a mobilisé son expertise pour animer le réseau et mettre en avant les actions déjà entreprises. Je voulais aussi que l’on suscite le débat sur un sujet sensible. La parole doit être libérée et sécurisée au bon niveau. Vous savez, le social est souvent le champ qui fait évoluer les mentalités et le rôle du politique consiste à provoquer les débats qui agitent le corps social.
Comment envisagez-vous votre action politique ?
Pour moi, la politique ne prend son sens qu’avec une vision de ce qu’est l’avenir d’un territoire et cette vision doit être partagée par le plus grand nombre. Il faut brasser large et instaurer un contrat de confiance. Il faut savoir donner du sens à son action pour être reconnu par les personnes qui concourent à l’action publique, que ce soit les partenaires politiques, publics et associatifs, les personnels de l’administration. Dans le cadre de notre projet social, le travail en équipe, la valorisation des personnels, des partenaires, la co-construction des projets, la recherche de consensus, ont donc permis l’adhésion, la mobilisation de tous les acteurs pour faire avancer notre action. Cette stratégie nous a obligés à travailler avec beaucoup de pédagogie et de disponibilité. Elle nous a permis aussi à dépasser le cadre réglementaire pour que la volonté politique soit à la hauteur des enjeux.
Quel regard à présent, portez-vous sur le travail accompli ?
Aujourd’hui, le CIAS est reconnu et légitime tant au niveau régional et national. En 2020, une vice-présidence a été créée à la Capa dans le droit fil du travail réalisé. J’ai appelé de mes vœux la mise en place d’un contrat pluriannuel qui engagerait le CIAS et la Collectivité de Corse, chef de file de l’action sociale, sur des objectifs précis et évaluables. J’espère que cette option reste d’actualité et que les services travaillent à sa mise en place imminente. Avec l’actuelle donne institutionnelle une nouvelle gouvernance de l’action sociale doit être proposée, tant au niveau de la prévention, que sur des dispositifs d’aide à la population. J’ai en son temps amorcé la réflexion avec la conseillère exécutive en charge de l’action sociale et je regrette qu’à ce jour la dynamique de changement ne soit pas impulsée. Dans ce cadre rénové, nous pourrions imaginer que la prise en compte des territoires et de leur spécificité aille jusqu’à une délégation de compétences sur l’axe de proximité, comme cela se fait ailleurs sur le territoire national.
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