Annoncé par Gilles Simeoni, le délai arrive à son terme. Au-delà du symbole, ces cent jours furent consacrés à peaufiner une nouvelle gouvernance et prendre la pleine mesure du défi à relever face aux grands enjeux qui assaillent l’île. Été studieux. Rencontres informelles et réflexions collectives. Ne pas laisser du temps au temps. La tête dans les étoiles, mais les pieds sur terre. Telle est la doctrine de celui qui incarne une majorité absolue et un exécutif en complète harmonie. Des conditions optimales et inégalées, qui impliquent cependant davantage de devoirs que de droits.
Par Jean Poletti
L’euphorie d’une éclatante victoire ne dure que le temps des roses. L’analyse du succès change au fil de la saison. Avec l’arrivée de l’automne, la parenthèse enchantée s’estompe, mettant à nu le mur des réalités. Elles sont multiples et de veines différentes, mais semblent reliées par un invisible fil qui tisse depuis longtemps le mal corse. Celui qui allie retard de développement, précarité, déséquilibre territorial, jeunesse en jachère. Un paysage nimbé d’expectatives, sur fond de forces occultes, drainant dans leur sillage les maux qui nourrissent l’inquiétude d’une société. Et placent une île à la croisée d’un destin.
« Là où il y a une volonté, il y a un chemin. » La citation attribuée à Lénine s’inscrit dans une évidente acuité. Sans jouer les Cassandre, ou noircir plus que de besoin une situation, nul ne disconviendra que les traitements homéopathiques ne seraient que cautères sur jambes de bois. Cela entérine l’impossibilité de faire du neuf avec du vieux, mais commande d’emprunter des voies originales, qui convergent vers une résolution globale des problématiques. Car même si cela paraît d’emblée peu perceptible, tout est lié. Voilà qui conduit inexorablement à l’équation purement politique que renferme la notion d’autonomie de plein exercice. Elle transcende toute considération factuelle ou circonstancielle. Et se veut le socle sur lequel sera bâtie la Corse nouvelle, récemment validée par l’écrasant choix des électeurs. Il induit les rapports jusque-là chaotiques non pas avec l’État, terme globalisant, mais avec l’actuel gouvernement. Tout en rappelant à notre bon souvenir l’attitude de Macron, qui oublia ses préceptes girondins sitôt franchi le perron élyséen. À un an d’une candidature pour tenter de renouveler son mandat campera-t-il sur ses positions ? Initiera-t-il un échange constructif ?
L’appel des régions
Il est en tout cas fortement incité par l’assemblée générale des régions de France, où Gilles Simeoni joua un rôle majeur et arbitra l’élection à l’unanimité de la nouvelle présidente, la socialiste Carole Delga. En contrepartie, il obtint que soit inscrit dans un « livre blanc » relatif à la décentralisation un volet spécifique concernant l’évolution institutionnelle de la Corse. Le document sera remis au chef de l’État, et transmis à tous les candidats de la course à l’élection présidentielle. Dès lors, cette question sera en débat au niveau national, et il faudra que les réfractaires expliquent que ce qui est déjà en vigueur dans toutes les îles méditerranéennes relève chez nous de l’impossibilité.
Rouvrir un tel chapitre revient à revisiter les statuts initiés par Gaston Defferre et Pierre Joxe qui reconnaissaient une spécificité en lieu et place du sacro-saint droit commun. Un refus du prêt-à-porter aux côtes mal taillées, alors que du sur-mesure conviendrait mieux. Ne fut-ce qu’en regard de l’histoire et la géographie. Mais n’est-ce pas un autre Emmanuel, nommé Arène, alors député, qui lança cette formule résumant à elle seule toute notre différence : « La Corse est une île, mais entourée d’eau ! »
Cette volonté qui rejoint le slogan de François Mitterrand, « Corses, soyez vous-mêmes », trouvera-t-il un épilogue. En toute hypothèse, les atermoiements de Paris, les décisions en trompe-l’œil et le vain palliatif de la déconcentration, ne doivent plus être les sempiternels alibis d’une hostilité masquée.
Le temps est venu pour le chef de l’État de sortir du lassant « en même temps » et d’indiquer de manière claire et sans équivoque quelle est sa vision d’une région, tout à la fois semblable et différente des autres.
Chevènement ou Rocard
Il lui appartient de dire sans ambages, et une bonne fois pour toutes, si son approche insulaire s’apparente à celle de Chevènement ou de Rocard clamant Jacobins, ne tuez pas la paix. Statu quo ou réforme ? Nul n’en doute que la réponse conditionnera un apaisement des relations, ou sera à l’inverse prémices de crispations renouvelées. Macron, qui se targue de modernité, campera sur de vieilles lunes en persistant dans son attitude ? Peut-il tout à la fois plaider pour la réforme d’un pays, et s’engoncer dans ce centralisme d’un autre âge, que rejette à n’en point douter les autres pays européens ?
Voilà sans nul doute ce qui s’apparente à un marqueur cardinal entre le pouvoir central et une collectivité. Là est le nœud gordien. Celui qui conditionne en cascade les autres problématiques. Certes d’envergure. Mais qui ne pourront être véritablement résolues si quotidiennement le nécessaire espace de dialogue demeure un champ de mines. Tournera-t-il le dos au verdict des urnes ? Et au propos d’un Jospin, Premier ministre, s’exprimant à la tribune de l’Assemblée de Corse sur une motion majoritaire : « En démocratie, le suffrage universel est un juge incontournable dont il faut tenir compte. » Un truisme qui ne fut pas un simple élément de langage, mais trouva son prolongement dans les «lundis de Matignon. »
Dans l’immédiat et sans spéculer sur l’avenir, il paraît opportun de souligner que la nouvelle majorité n’a certes pas de mandat restrictif. Elle aura entière latitude d’ouvrir tous les cahiers de doléances qui lui semblent opportuns. Toutefois, elle devra non seulement sérier le possible et le souhaitable, mais aussi prendre garde de ne pas se perdre plus que de raison dans des hiatus, où elle ne possède nulle prérogative nécessaire pour les juguler.
Dans ces domaines figure en bonne place le grand banditisme. Oui, elle devra avec une froide détermination contrôler strictement les marchés dont elle a la charge. Sans doute aussi aura-t-elle à cœur de relayer le cri de la société civile, dans ce qui est considéré comme l’accaparement de pans entiers de l’économie par le milieu et ses affidés. Évidemment, elle pourra au nom de la morale et de l’étique plaider pour la marginalisation de ces équipes, adeptes de la contrainte et avançant à bas bruit.
Brise automnale
Mais en contrepoint, il lui faudra avoir l’humilité de reconnaître ses propres limites dans cette lutte qu’en terme générique on qualifie de « mafiosisation ».
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