Est-il encore besoin de présenter Christophe Santini ? Homme de tous les records, de tous les défis. Pas un territoire, de préférence hostile, n’a échappé à ses foulées ou à l’empreinte des roues de son vélo. En cette fin d’année, le sportif qui incarne comme personne la résilience revient d’un périple en Australie. 4 300 km à vélo, de Darwin à Melbourne en 21 jours. Un témoignage sans fard qui lie le changement climatique et la résistance des corps.
Par Caroline Ettori
Comment a germé l’idée de cette nouvelle aventure ?
Pendant ma convalescence*, on parlait beaucoup des mégafeux qui ravageaient l’Australie. Un pays qui m’a toujours fait rêver. Je me suis dit qu’organiser une traversée du nord au sud me permettrait à la fois de découvrir cette île fabuleuse et de témoigner à mon niveau des effets du changement climatique. L’idée aussi était de parler de résilience qui selon moi est intimement liée à l’environnement. On ne pourra pas sauver la planète sans préserver l’humain. À titre d’exemple, aujourd’hui la sédentarité concourt au développement de nombreuses pathologies. Comment l’Homme pourra-t-il s’adapter à des conditions de vie plus difficiles si son corps n’est pas prêt ? Je ne dis pas que le sport résout tout ou qu’il empêche les maladies mais il aide sans aucun doute à surmonter certaines épreuves. Je m’en rends compte à chaque fois que je traverse des territoires « extrêmes », il est fascinant de voir comment le corps réagit et résiste.
Et de conditions extrêmes il en a été question pendant ces trois semaines…
Le voyage a failli s’arrêter au deuxième jour. Avant de commencer, entre le décalage horaire et l’adrénaline, j’ai enchaîné plusieurs nuits blanches. À Darwin au matin du 17 octobre, la température atteint les 53 degrés, le climat tropical est étouffant et je pars pour 250 kilomètres à vélo, direction Jabiru. Cette partie du pays est balayée par les vents parfois favorables, souvent contraires, l’état des routes, du gravier, est catastrophique mais tout ça fait partie du défi. Le deuxième jour est aussi chaud et je décide d’écourter l’étape. Je ne ferai que 180 kilomètres. Après un tiers du parcours, je n’arrive plus à boire ni à manger et je commets une faute en troquant mon casque pour une simple casquette. J’ai pris un coup de chaud qui a failli mettre un terme à la course. Le soir, j’ai eu beaucoup de fièvre et pour la première fois je me suis dit que j’allais m’arrêter là.
Et c’est là où l’entraînement et la préparation physique ont fait la différence. Mon corps a réussi à récupérer et j’ai pu repartir. Au fil des jours, je me suis adapté aux conditions particulièrement exigeantes.
Sur les deux tiers du trajet, le vent, la chaleur ne m’ont pas quitté. Dans le bush, le climat est plus sec mais les températures oscillent entre 46 et 48 degrés en moyenne. La nuit, elles ne descendent pas au-dessous de 30 degrés ce qui empêche une bonne récupération. Mais le plus grand danger n’est pas lié à l’environnement. Pendant une quinzaine de jours, j’ai dû partager la route, très étroite, avec ce qu’on appelle des road trains, des super camions qui tirent plusieurs remorques derrière eux et je peux vous dire que quand ils vous passent à côté, il vaut mieux s’accrocher !
Au final, vous vous êtes tellement bien adapté que vous avez poussé « un peu » plus loin, jusqu’à Melbourne…
Même si pour cette fois-ci la notion de record était moins présente, il se trouve que nous sommes arrivés à Adelaïde très en avance sur le programme. Nous avons donc décidé de longer la côte jusqu’à Melbourne, la Great Ocean Road. Un spectacle magnifique avec cette immensité devant nous, ces rochers plantés dans l’eau. C’est à couper le souffle. Au bout du compte, j’ai parcouru 4 300 kilomètres à vélo, en 21 jours soit une moyenne de 215 kilomètres par jour.
Vous n’étiez pas seul pour affronter les éléments australiens…
Effectivement, nous sommes partis en équipe avec Florent Chabrier avec qui j’ai traversé l’Arctique et Sébastien Tiberi. Ils se sont occupés de toute la logistique à partir de notre camping-car. Et j’ai bien sûr pu compter sur mes partenaires : Hexagone Groupe, Deltabois Lecci et Millet Bastia qui me soutiennent dans mes différents projets.
Comment conciliez-vous le « chronomètre » et le plaisir simple de prendre le temps, de regarder le paysage, de profiter du moment ?
Il est important pour moi de garder ma fibre sportive. C’est ce que je suis. J’ai d’ailleurs choisi un vélo de course pour cette traversée pour être performant. Pour autant je ne manque rien. J’ai pris le temps aussi de m’arrêter, d’admirer les différents points de vue en ajustant course et visite : le parc national de Kakadu, le massif sacré Uluru (Ayers Rock) près d’Alice Springs, nous avons emprunté la Stuart Highway à travers le bush, le désert nous a projetés dans un vieux western hollywoodien. Il y a aussi une autre réalité, différente des étendues ocres et des plages de surfeurs. C’est la réalité des aborigènes parqués dans des réserves qui souffrent des effets de la malbouffe, de l’alcool, de la drogue, qui tombent dans la délinquance, dans la violence. Ce sont des choses auxquelles on ne s’attend pas forcément mais qui existent.
Avez-vous déjà réfléchi à votre prochain objectif ?
Il y aura le marathon des sables en avril dans le Sahara Sud marocain. J’aimerais également traverser le lac Baïkal en kayak l’été prochain. Il s’agit de la plus grosse réserve d’eau douce au monde et en tant qu’agent de l’Office hydraulique, je souhaiterais collaborer avec des scientifiques pour étudier la qualité de ces eaux et leur niveau de pollution aux matières plastiques. Cela dépendra évidemment du contexte international.
La place de l’environnement est désormais centrale dans votre démarche…
Je suis à la fois témoin et acteur de l’environnement à travers mon métier. C’est aussi pour être au plus près de ces problématiques que je choisis ces territoires extrêmes. En Arctique par exemple, la fonte des glaces intervient un mois et demi en avance, à Port Campbell dans le sud de l’Australie, la température était de 13 degrés fin novembre. Pour eux, c’est l’été, il est censé faire 35 degrés en moyenne. Sans compter les vagues de pluie, du jamais-vu. Le système est en train de changer. Il faut nous y préparer, y compris physiquement.
Comment faire ? La tâche paraît insurmontable…
Par le sport ! Pour moi, c’est devenu un style de vie. Je lui dois beaucoup : les voyages, les rencontres, le fait d’avoir récupéré 10 fois mieux après mes problèmes de santé qu’une personne sédentaire.
Après mon opération je suis reparti de zéro passant de 20 heures de sport par semaine à 10, 15 minutes de marche par jour. Mais je n’ai pas déprimé parce que ce que je faisais, je le faisais à fond et mentalement ça me suffisait. Petit à petit, les objectifs ont été atteints et repoussés un peu plus loin pour atteindre mon objectif final.
Vous évoquez souvent la résilience. Comment aborder cette reconstruction ?
Comme pour l’environnement, c’est une question d’adaptation. Pour l’activité physique, on adapte sa pratique à ses objectifs et à ses capacités. Après un problème de santé, il y a des choses qu’on ne pourra plus faire. Il faut adapter sa vie à son « handicap » mais la vie n’est pas finie pour autant. Le corps n’oublie pas. S’il a travaillé avant, il saura réagir.
Au-delà du sport, l’entourage joue un rôle essentiel. Il faut savoir se couper des personnes négatives y compris celles qui peuvent être proches. Si tu les écoutes un peu trop, tu arrêtes tout, tu te décourages. Il est important de se mettre dans une bulle positive.
Nous entamons une nouvelle année, quel message souhaitez-vous transmettre ?
Aujourd’hui plus que jamais j’ai envie de donner du sens aux défis que j’entreprends en transmettant mon expérience. Des scolaires au monde professionnel en passant par les actions engagées en tant qu’ambassadeur de l’association « Un sourire, un espoir pour la vie ». Mon message est simple. On naît avec un capital santé qu’il faut entretenir. Ce n’est pas toujours facile dans une société de surconsommation, de suralimentation. Il est fondamental de penser à soi et de prendre soin de son corps. Le sport, l’activité physique, quel que soit notre âge, ne sauvent pas de tout mais encore une fois, ils permettent de mieux encaisser les coups de la vie. Et de repartir plus fort. Comme dans une compétition.
*En octobre 2020, suite à une chute causant la fracture de deux cervicales, Christophe Santini a subi en urgence une lourde intervention.
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