CHURCHILL, LE GOÛT DE LA DÉMOCRATIE

Homme brillantissime, accompli, guerrier et sportif dans sa jeunesse, écrivain consacré par un prix Nobel, excellent orateur, rompu aux subtilités et à l’art du parlementarisme au service d’un idéal de démocratie, auteur de ravageurs mots d’esprit, Churchill incarna la résistance européenne la plus significative au nazisme en galvanisant le résilience du peuple britannique. Héritier d’un grand Nom, il eut à souffrir du mépris d’un père au souvenir duquel il lia indissolublement son destin au point de mourir naturellement à la date anniversaire de la disparition de celui-ci. 

Par Charles Marcellesi, médecin 

UN HOMME DE PAROLE(S)

Churchill (cf. la volumineuse biographie d’Andrew Roberts chez Perrin) était donc l’héritier d’un grand nom, celui des Spencer, de même parenté que celle de l’illustre duc de Marlborough (John Churchill) dont les exploits durant la guerre de succession d’Espagne étaient raillés dans la chanson préférée de Napoléon (« Malbrough s’en va en guerre »). Notre Churchill naîtra donc dans le palais de sa famille à Blenheim (nom de lieu de l’une des victoires de son ancêtre), mais son caractère indiscipliné durant une enfance qu’il vécut loin de ses parents, à son grand désarroi, à St. George’s school, Ascot, lui attira le mépris de son père. Devenu adulte, il n’eut de cesse d’abord de montrer sa valeur, souvent à la première place, comme sportif, comme soldat aux quatre coins du monde (Cuba, Inde, Pakistan, Soudan, guerre des Boers) mais aussi comme correspondant de guerre, encourant des risques physiques considérables qui prirent la suite de ses accidents d’enfant casse-cou. Mais il se destinait surtout à être un homme politique comme l’était son père qui décèdera prématurément à l’âge de 45 ans. Le fantasme de Churchill fut très tôt qu’il était prédestiné à sauver l’Angleterre dans une période critique, ce qui se vérifia comme réalité plus tardivement dans sa vie lors de la Seconde Guerre mondiale lorsque l’Angleterre devint le symbole de l’idée même de la liberté pour l’humanité entière.

Churchill prit la suite de son père comme parlementaire, en mettant au service de son ambition ses armes principales qui furent pour servir un idéal de démocratie, le courage, l’esprit, et surtout son maniement du langage qui serrait au plus près « le sens » ; cela venait de la congruence heureuse entre sa parole et la structure même du langage, pour produire un effet de vérité là où la subjectivité de Churchill retrouvait les attentes de son peuple, fruit d’un savoir civilisationnel, propre à l’Angleterre comme nation européenne et lieu d’expérience d’une pratique démocratique affinée au fil du temps par le jeu et le perfectionnement des institutions et d’un discours centré sur l’habeas corpus : soit la mise en débat du gouvernement pour le peuple et par le peuple dans la continuité de celle inventée par les cités États de l’Antiquité et la consécration d’une liberté fondamentale pour les citoyens. Ainsi, il devint rapidement grâce à son habileté manœuvrière l’homme politique et le tribun incontournable lors de la constitution des gouvernements de l’Empire Britannique en son temps.

« Le phantasme de Churchill fut très tôt qu’il était prédestiné à sauver l’Angleterre dans une période critique. »

LA DÉMOCRATIE À L’ÉPREUVE DU PIRE

Ce rapport exceptionnel au langage dans la pratique quotidienne de la politique parlementaire de l’époque apparaissait notamment dans le brio de ses mots d’esprit, qu’il semait comme des clous sous les pieds de ses concurrents et rivaux (cf. le recueil des « sautes d’humour de Winston Churchill » dans la Petite Biblio Payot) ; quand la très germanophile Nancy Astor le charge : « Si j’étais votre femme, je mettrais du poison dans votre café. », il lui rétorque : « Si j’étais votre mari, je le boirais. »Ou encore à propos du travailliste Clement Attlee : « Un taxi vide arriva au 10, Downing Street, et quand on ouvrit la portière, Attlee en descendit… »

Dans cette technique du mot d’esprit celui qui le produit fait entendre sous l’énoncé conscient une énonciation inconsciente lourde d’un vœu agressif qui déconsidère la personne prise pour cible à l’intention de témoins représentant l’Autre social et du langage. Quant à sa conception de la démocratie elle était sans idéalisation excessive : « Personne ne prétend que la démocratie soit parfaite ou infaillible. Pour certains, c’est même la pire forme de gouvernement si l’on excepte toutes les autres formes à avoir été essayées. » L’action et le rôle de Churchill se situent justement à l’acmé de la crise des démocraties qui avaient rencontré deux écueils : le colonialisme et l’émergence des totalitarismes en Allemagne et en Italie.

L’HOMME DE VÉRITÉ

Dans sa lutte contre le nazisme, pouvoir biosécuritaire aurait dit Foucault, parce qu’il persécutait et exterminait au nom du « Souverain Bien » d’une soi-disant élite raciale de pureté « aryenne » et germanophone des millions d’Européens au motif qu’ils étaient juifs, opposants politiques, tziganes, slaves ou homosexuels (c’est à un mécanisme similaire auquel à recours aujourd’hui Poutine dans la guerre en Ukraine en invoquant la préservation de la Sainte Russie russophone), l’arme de Churchill fut la parole de vérité à son peuple (« les larmes et le sang… » au nom de la liberté) contre le mensonge systématique des nazis notamment lorsqu’ils décidèrent lors de la conférence secrète de Wansee (20 janvier 1942) la « solution finale ».

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