Collectif Corse Santé
La vérité sur l’hôpital de Bastia
Le point de non retour ? Le Centre hospitalier de Falconaja n’en finit plus de s’engoncer dans une anesthésie qui pourrait lui être fatale. Les appels à l’opération salvatrice demeurent ignorés par les autorités concernées. Au hasard des requêtes, les ministres sollicités se défaussent ou font preuve d’indifférence. Le Collectif verse le douloureux dossier au sein de l’opinion publique. Constitué de bénévoles épris de citoyenneté où figure notamment Nonce Giacomoni, dont on sait le combat qu’il mène dans le domaine de l’autisme, il assène sans fards la réalité par la voix de sa porte-parole Danièle Franceschi.
Par Jean Poletti
La situation est-elle vraiment problématique ?
Le mot est faible. Depuis plus d’un an, en dehors des instances dans lesquelles nous siégeons, nous échangeons lors de réunions mensuelles avec l’administration et les soignants de l’hôpital. Dialogues courtois et bienveillants où nous évoquons et faisons remonter les problèmes des usagers. À ce jour, et malgré la bonne volonté de tous, les problèmes demeurent, récurrents, identiques mais presque toujours irrésolus ! Le temps passe et les solutions ne sont pas au rendez-vous !
Les dysfonctionnements principaux ?
Les problèmes d’argent, une désorganisation certaine et les petites luttes internes empêchent toute avancée, entraînant de fait, le départ de nombre de médecins. Mais comment pourrait-il en être autrement dans cet hôpital obsolète et surendetté ? Il ne suffit pas de déclarer « l’hôpital de Bastia est notre priorité » pour en voir ne fut-ce que le début d’une solution ! Pour preuve, la récente réponse de la ministre déléguée à la Santé au député Michel Castellani. Aussi, le Collectif Corse Santé, représentant et défenseur des usagers a lancé une pétition pour la construction d’un nouvel hôpital à Bastia et le moratoire de sa dette de 120 millions d’euros. Elle a déjà recueilli plus de douze mille signatures, émanant essentiellement de la société civile, hors mouvements politiques et syndicats. Simplement grâce à la presse locale qui relaya notre initiative.
Vous ne redoutez pas d’effrayer la population ?
Nullement. Nous n’accusons personne. Notre démarche est d’essence et de modalité différente. L’enjeu est de constater, faire connaître la parole des usagers, rapporter leurs expériences, faire entendre leur voix. Non, nous ne craignons pas de les effaroucher, car un fait est acquis. Il tient en une phrase. L’hôpital de Bastia fait peur. Un officier des pompiers nous a dit sans euphémisme : « Quand nous intervenons pour prendre un usager en charge, je peux dire que 70% d’entre eux nous demandent de ne pas aller à l’hôpital ! » Affirmation confirmée par de nombreux secouristes.
Alors bien sûr des gens sont biens soignés, des gens guérissent. Les personnels s’acquittent avec efficience de leur mission. Mais ils sont amputés de la logistique suffisante pour effectuer leurs tâches. Accepter de travailler dans des conditions dégradées, à l’intérieur de locaux rafistolés et obsolètes, dans un univers dépassé et non attractif, dans une ambiance tendue et souvent en sous-effectif relève de la foi ! Et nous remercions tous ceux qui au quotidien vivent ces réalités et relèvent ces défis. Mais nous nous refusons, nous, représentants des usagers, de nous taire et d’être complices de l’abandon programmé de notre hôpital : le manque de moyens et la logique de rentabilité entraînent la désorganisation et la démotivation des équipes médicales et soignantes.
Selon vous quelles sont les causes structurelles d’un tel gâchis ?
Elles sont nombreuses et se conjuguent. On ne reviendra pas sur l’inappropriation pour la Corse d’un hôpital type Duquesne déjà inadapté lors de sa construction en 1977. Il nous faut cependant signaler qu’entre sa construction et aujourd’hui les malades ont augmenté en même temps que la population d’environ 30% sans extension de la surface de l’hôpital, d’ailleurs impossible ! Alors oui, les cache-misères coûteux ont apporté par-ci, par-là, un bien léger mieux-être, vite dépassé. Et désormais dans une implacable spirale, notre hôpital est obsolète, saturé, sous-équipé. Il pose un problème de qualité de soins, tant au niveau des conditions d’accueil, de l’hygiène, ou de la sécurité. Les directeurs successifs se sont contentés de gérer au mieux, ou pas, des locaux inadaptés, le manque de lits, et de médecins. Et surtout un déficit cumulé abyssal et des personnels épuisés !
Faut-il souligner en incidence que la circulaire du 2 mars 2006 stipule que les établissements de santé garantissent la qualité de l’accueil, des traitements et des soins. Dans ce contexte délétère, est-ce encore possible ?
Cela est-il spécifique à notre île ?
Sans doute pas. Mais cela ne nous console pas. D’autres structures ailleurs sont victimes d’aléas. Mais, spécificité de taille, la géographie de notre territoire, notre réseau routier et l’absence d’alternatives entraînent pour la population fréquentant le Centre hospitalier de Bastia, soit plus de la moitié de la population, une rupture de l’égalité des soins et des chances ! La Corse est une île et plus qu’ailleurs nous avons besoin d’une autonomie sanitaire. Nul ne contestera par ailleurs, qu’il y ait une grande différence entre ceux qui ont les moyens de se faire soigner « ailleurs » et la grande majorité contrainte à l’injustice sanitaire.
Pouvez-vous évoquer quelques exemples ?
La liste est longue. D’emblée figurent les urgences. Elles posent des problèmes de locaux récurrents depuis trente ans. Et surtout un nombre insuffisant d’urgentistes et de moyens ! Ce service ne dispose même pas d’un l’espace dédié à l’accueil des patients dans des conditions décentes. Brancards collés les uns aux autres, attente interminable. La liste n’est pas exhaustive. Pour autant les urgences sont les seules du Centre hospitalier à fonctionner 24H/24. Faut-il souligner que c’est le service qui a le plus recours à l’intérim et cela pose de vrais problèmes : méconnaissance des intérimaires des services de l’hôpital, leurs séjours très courts et souvent peu concernés par les écueils de l’hôpital mettant même parfois en danger la vie des personnes accueillies. Facteur aggravant s’il en est, aujourd’hui, avec la loi Rist diminuant les honoraires des intérimaires les véritables urgentistes ne viennent plus dans un hôpital endetté, et sans moyens.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Notre rôle n’est pas de jouer les disciples des remèdes miracles mais d’alerter les malades de la situation délétère voire dangereuse où l’on ne pourra plus pousser les murs ! et indiquer qu’à Bastia, nous n’avons pas de situation de repli. Aussi les différents représentants décisionnels doivent cesser de vouloir rassurer l’opinion publique à n’importe quel prix. Elles doivent agir et se battre à nos côtés pour un hôpital neuf dont la mission est de sauver des vies. Tout simplement. Car les faits sont têtus. Il suffit d’ajouter pour fixer les esprits que sur les sept blocs opératoires récents et performants, seuls cinq sont en fonctionnement cette année. Aussi l’activité générale de chirurgie de l’Hôpital de Bastia a diminué de moitié par manque de personnels. Par contre, depuis dix-huit mois, certains de nos chirurgiens opèrent dans le privé donc double peine : le manque à gagner pour l’hôpital, les blocs opératoires du privé à payer !
Le service de soins et de rééducation souffre aussi d’un mal chronique. À telle enseigne que pour éviter la fermeture, deux médecins d’Ajaccio ont accepté, provisoirement et alternativement, de prendre en charge la patientèle de Bastia. Certes un Service de soins et de rééducation avec hébergement se construit dans le secteur privé, validé par l’ARS et sera opérationnel d’ici 2 ans. Là encore, l’hôpital se déleste de ses missions rentables !
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