Confessions d’un patriote corse
De Jo Peraldi et Frédéric Ploquin
aux Éditions Fayard
Pour la première fois, l’une des figures historiques du nationalisme corse livre un témoignage à cœur ouvert sur son parcours, son engagement et sa vie dans l’ombre d’une organisation qui a marqué l’histoire de l’île, le Front de libération nationale corse (FLNC).
Par Karine Casalta
Un destin façonné par l’engagement et la clandestinité
Perçu comme l’un des piliers de la branche militaire du FLNC, Jo Peraldi a vécu et orchestré les actions marquantes du mouvement, naviguant entre succès, échecs et vendettas internes. Officiellement photographe en Corse pour Paris-Match, connu comme un « chasseur de scoops » réputé, il menait tout à la fois dans l’ombre ses activités clandestines. Fidèle à son engagement et ses idéaux patriotiques jamais démentis, il a contribué à créer un réseau immense et invisible qui protègera de nombreux nationalistes, dont le célèbre Yvan Colonna duquel il organisa la cavale.
Jo Peraldi revient aussi sur des événements marquants, dont le double attentat en plein jour à Ajaccio en 1999 contre la DDE et l’Urssaf, qui a poussé Lionel Jospin, alors Premier ministre, à initier des discussions avec les élus corses qui déboucheront sur les accords de Matignon.
Un témoignage précieux sur la mémoire du nationalisme corse
Recueillies par Frédéric Ploquin, ces révélations mettent également en lumière les rouages complexes du mouvement, ses luttes intestines, ses alliances fragiles et les valeurs qui ont cimenté le mouvement depuis sa création en 1976, levant aussi le voile sur des pans entiers de l’histoire de la Corse, souvent peu documentés.
Le livre offre ainsi un témoignage unique d’un homme au parcours singulier, profondément lié à son île et aux idéaux nationalistes qui l’ont porté toute sa vie, tout en évoquant avec lucidité les défis et le prix d’une vie passée entre ombre et lumière, toujours sur le fil.
Intervista
Qu’est-ce qui vous a poussé faire ces révélations aujourd’hui et à collaborer pour cela avec Frédéric Ploquin ?
Ça fait au moins quinze ans qu’on me demande de faire ce livre, et j’avais toujours refusé. Mais après la mort d’Yvan Colonna en prison, un drame atroce et scandaleux qui n’aurait jamais dû arriver, et la levée de violence qui s’ensuivit, il y a eu une récupération politique de certains groupes contre d’autres nationalistes.
Et là, ça a été la goutte qui a fait déborder le vase ! Car on n’utilise pas la mort d’un militant aussi important pour aller contre d’autres nationalistes ! Là, j’ai décidé de remettre l’église au milieu du village, et dire de nombreuses choses sur l’ensemble de la lutte. J’ai rencontré Frédéric Ploquin et on a parlé de beaucoup de choses. Et il m’a dit « on peut faire un livre sur ta vie. Et on enchaîne sur le combat que tu as mené en Corse ».
Frédéric est quelqu’un que j’ai connu en tant que journaliste. C’est un homme qui a une très grande qualité d’écriture. Je n’avais jamais fait de livre de ma vie. Lui y est habitué, et donc nous avons décidé de le faire.
Le livre s’intitule Confessions d’un patriote corse ?
J’ai choisi volontairement «confessions» parce que je me suis confessé devant mon peuple et je voulais avoir la même qualité de parole, de pureté, de parole de vérité que j’aurais eu en me confessant devant le Christ ou devant Dieu. Et «patriote» ensuite parce que je suis attaché à ma patrie, à ma terre, à mes valeurs, mon identité !
Quand on se confesse on avoue aussi parfois des choses que l’on regrette ?
Non je n’ai pas de regrets étant donné que je n’ai jamais agi sur un coup de tête. Quand on agit sur un coup de tête il peut y avoir des regrets. Mais quand il s’agit de choses réfléchies, d’actions réfléchies, alors non, il n’y a pas de regrets à avoir, on le fait parce que c’est nécessaire.
Justement, qu’est-ce qui vous a conduit à rejoindre le FLNC et a motivé vos combats en tant que militant au sein du mouvement ?
J’ai toujours vécu en Algérie, donc je ne connaissais la Corse qu’à travers les récits de mes parents. Je suis rentré en Corse en juin 1963. Là, quelques mois après, j’ai commencé au Provençal Corse. Et c’est comme ça, par mon métier que j’ai commencé à tourner en Corse pour faire des reportages dans les villages.
Et là, je vois la misère qu’il y avait, une paupérisation inimaginable ! Je me disais que la Corse était moins bien traitée que l’Algérie : pas de routes, pas d’école, pas d’électricité, pas d’eau au robinet. Les vieilles dames de 80, 85 ans, étaient accroupies dans le jardin pour faire quelques pommes de terre, quelques haricots et quelques tomates. C’était véritablement scandaleux ! Et puis je découvre le système politique que je décris dans le livre, à savoir des gens qui fonctionnent sur l’assistanat, le clientélisme, la fraude électorale, et tout cela sous la bénédiction du pouvoir central parisien, jusqu’au plus haut niveau de l’État. Et comme ces gens sont affiliés aux partis de gouvernement qui siègent à Paris, l’État ferme les yeux. La Corse était vraiment alors un état de non-droit, une république bananière. On nous traitait comme un sous peuple. Et cela je ne l’ai pas accepté et nous sommes beaucoup de jeunes rentrant des colonies à l’avoir remarqué et à nous dire qu’il fallait agir. C’est comme ça qu’on a commencé à agir.
Il y a eu par la suite des actions relativement violentes. Est-ce que vous avez été toujours à l’aise avec ça ? Parce que vous étiez quand même un des chefs militaires.
Vous savez, les actions qui ont été commises par le FLNC sont toujours décidées collectivement avec l’ensemble des responsables. Et j’ai toujours été à l’aise. Compte tenu de mon passé en Algérie dans les services spéciaux, j’étais formé aux armes légales, aux explosifs, et tout ce qui s’ensuit. Le FLNC, c’était plus des bombes qui détruisaient du matériel, des bâtiments etc. Mais en évitant de faire des morts. Toujours. Nous n’avons jamais fait un mort sous nos bombes. Ça, c’est un fait acquis. Sauf quand on nous a attaqués, avec l’enlèvement de Guy Orsoni. Quand les barbouzes ont agi. Là, ça s’est soldé par l’élimination totale des barbouzes et ça s’est fini en prison par l’exécution de deux autres personnes qui avaient été arrêtées et ont été tuées dans leurs cellules.
Vous avez ainsi mené une vie de clandestinité en parallèle de votre vie de journaliste ?
Oui mais je peux vous assurer que cela n’a jamais transpiré à travers mon métier. J’ai toujours fait mon métier avec la plus grande déontologie, et je n’ai jamais utilisé ma carte de presse pour couvrir ma situation clandestine. J’étais comme n’importe quelle personne qui vivait normalement. Mais bien entendu, j’ai passé 27 ans sous la cagoule.
Ce n’est qu’après les attentats de l’Urssaf et de la DDE, quand j’ai été trahi par quatre personnes qui ont flanché après avoir été arrêtées, que je me suis fait arrêter au bout de 27 ans de clandestinité.
C’est aussi ce qui a motivé le fait d’avoir toujours été fidèle à vos hommes ? Jusqu’à aider Yvan Colonna dans sa cavale ?
Yvan Colonna, je l’ai aidé, simplement, comme le veut la tradition corse, parce que à un moment donné, il m’a appelé à l’aide. Car j’étais très, très ami avec son beau-frère Joseph Cavioli, qui était comme un frère pour moi. Et que je l’ai connu quand il est arrivé en Corse, à 21 ans, en revenant de Nice où son père était député socialiste. Il a été formé parmi nous. Ensuite, il y a eu une scission en 90 et il est parti avec ce qu’on a appelé le FLNC historique. Mais il n’est pas resté longtemps quand il a vu de qui il s’agissait. Alors il est parti avec une équipe. C’étaient un peu des électrons libres. Néanmoins nous avons gardé des contacts d’amitié. Et quand il y a eu les arrestations, et qu’il a été sur le point d’être arrêté, il m’a appelé en me demandant si je pouvais l’aider ? Voilà, c’est comme ça que ça s’est passé et c’est intégralement décrit dans le livre.
Il était alors accusé de meurtre !
Je vais vous dire, j’ai bien fait de l’aider. Même après les procès qui ont eu lieu, la preuve matérielle n’a toujours pas été apportée que c’est Yvan qui a tiré sur le préfet.
Il y va de la conviction des juges et de certaines des dénonciations. Mais cela n’a pas été prouvé. Donc il y a toujours undoute. Et quand je le mets en cavale. C’est comme le veut la tradition corse, sans rien lui demander. Je savais qui il était, à qui j’avais à faire.
Il m’appelle et je l’aide. Quand on aide quelqu’un, on ne lui parle pas de son affaire. Si lui ne vient pas à vous pour en parler, c’est tout.
Est-ce qu’aujourd’hui, vous envisageriez de faire certaines choses différemment ?
Non ! Je peux vous le dire sincèrement. Si aujourd’hui on me demandait de repartir depuis l’Algérie jusqu’à ce jour, je ne changerai rien à ma vie. Même si cela n’a pas été un long fleuve tranquille. Car je tiens à vous dire que dans ce livre, je ne raconte que 15 % de ce que je peux raconter.
Et quel regard portez-vous sur les élus nationalistes au pouvoir aujourd’hui ?
Franchement, c’est une très grande déception ! Parce que je crois qu’on a tout fait pour les mettre au pouvoir en 50 ans de lutte. En 2015, nous avons tout fait pour dynamiser le mouvement national. On a réussi à réunir toutes les mouvances nationalistes dans une liste unique. Ça s’est bien passé, ils ont été élus ; et trois mois après, c’était déjà les egos surdimensionnés qui avaient pris le dessus. Et déjà il y avait toutes ces règlements de compte par voie de presse interposée. Et l’Assemblée n’a plus avancé. Puis en 2021 quand ils partent tous séparés, ils n’ont plus rien eu !
Ce sont toutes les divisions, à partir des années 90, toutes les scissions, dues aux egos surdimensionnés des uns et des autres, qui ont fait que nous nous sommes affaiblis. Un peuple divisé ne peut pas prétendre régner !
Vous êtes optimiste ?
Oui, je suis quand même optimiste. Je me suis battu 50 ans personnellement pour obtenir une autonomie de plein exercice. Surtout le troisième volet : la dévolution du pouvoir législatif. L’autonomie de plein exercice permet par ricochet à une région autonome d’avoir une reconnaissance et une souveraineté dans le cadre européen, et à partir de là, traiter de ses besoins directement avec l’Europe. On ne passe plus par Paris.
C’est ça qui peut renforcer le pouvoir des élus en Corse, et leur permettre de prendre des initiatives pour vraiment commencer à développer une économie durable pour la Corse, et donc j’y crois car ça a l’air d’être en bonne voie malgré la crise franco-française.
Je pense que la Corse peut tirer son épingle du jeu à condition que nos élus sachent se mettre en ordre de marche. S’ils veulent sauver ce bilan en obtenant l’autonomie ce sera le Graal pour moi !
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