C’est la lutte finale
Aribba Volotea ? La compagnie catalane montre les bouts de ses ailes dans le ciel insulaire. Elle fait une offre alléchante pour s’imposer sur marché conjointement détenu par Air France et Air Corsica. Cet aspect pécuniaire illustre la dualité d’une offensive du libéralisme face aux attributs du service public. Celui-ci a certes un coût mais sans doute pas de prix.
Par Jean Poletti
Déflagration aérienne. Coup de tonnerre qui perce la quiétude des liaisons aériennes. Nuages annonçant des turbulences politiques, sociales et économiques. L’acte de candidature agressive, émanant d’une structure implantée dans une région dite « sœur » avec la Corse, crée l’émoi, les doutes et l’expectative. En théorie, l’argument financier de l’empêcheur de voler en rond séduit. Il ne réclame que cinquante millions pour réaliser ses prestations. Soit la moitié de la somme jugée nécessaire par les actuels titulaires du monopole.
Le chiffre marque d’autant les esprits que la société low cost brandit habilement sa stratégie de tarifs moins onéreux. Pour reprendre un terme idoine le moins-disant ne laisse nulle place à l’esquisse de l’ombre d’un doute. Pourtant, seul le béotien croira que la philanthropie vaut en l’occurrence doctrine. Sans espoir de bénéfices substantiels, la candidate n’aurait pas lorgné sur la Corse dont on sait le secteur structurellement déficitaire et un besoin vital de la fameuse enveloppe de continuité territoriale pour survivre. Dès lors sans jouer les augures ou enfourcher les doctes explications, l’esprit est taraudé par l’interrogation de la méthode qui serait employée afin de faire aussi bien voire mieux que l’existant avec des aides réduites, corrélées aux tarifs fret et passagers moindres. Tout en escomptant des bilans d’exploitation excédentaires.
Pont aérien
En contrepoint, Air Corsica souligne et martèle que ses dessertes clouent au sol l’esprit mercantile, la recherche du profit qui lèseraient un service public de qualité que commande et impose l’insularité. La finalité ? Un pont aérien fiable, permanent, répondant pleinement aux attentes d’une population, qui jusqu’à plus ample informé n’a nul loisir d’utiliser la voiture ou le train pour rejoindre aisément le continent.
Il nous souvient, avant la création de la compagnie baptisée alors Corse Méditerranée, que les vols s’apparentaient à une portion congrue. Peu de fréquences des horaires inadaptés. Et sauf rares exceptions seulement Ajaccio et Bastia desservis. Le relatif isolement fut brisé voilà trente-trois ans avec le décollage du premier appareil frappé de la tête de Maure. Elle concrétisait la volonté de l’Assemblée territoriale d’une démarche émancipatrice portée sous les fonds baptismaux par l’édile Philippe Ceccaldi qui en devint le premier président. Le temps amplifia l’envol initial. La flotte s’accrut. La dénomination changea. Le bord à bord s’enrichit d’escales supplémentaires.
Mais nul ne disconviendra que la philosophie demeura chevillée au cœur et à l’esprit des dirigeants et employés successifs. Elle ne cherchait pas à tailler des croupières chez d’autres. Avoir comme unique horizon et plan de vol la sacro- sainte rentabilité ouvrage de chevet du capitalisme. Ou en incidence rogner sur les fréquences et amplitudes liées au seuil des sièges occupés.
Embarquement immédiat
Qui n’a pas effectué un trajet, notamment en période hivernale, dans une cabine peu remplie ? En gestion pure, cela se nomme gaspillage. Mais cette régularité de métronome ne transcende-t-elle pas l’aspect bassement marchand pour irriguer les rivages où trône la morale ? Grandiloquence ? Exagération ? Peut-être. Elles reflètent toutefois, de manière inconsciente ou lucide, qu’une activité n’est pas seulement guidée par les préceptes de l’offre et de la demande, mais intègre à qui le souhaite la notion de générosité.
Certes ce genre d’exemple bat en brèche la soumission de l’étique au gain. Sans doute est-il antinomique avec les axiomes que brandissent les émules d’un entreprenariat dont l’initiative ne peut qu’être synonyme de retour sur investissement.
Sans conteste, dans le domaine aérien aussi, des stratagèmes de rentabilisation sont parfois utilisés par les gestionnaires du low cost pour laisser sur le tarmac un appareil dont le coefficient de remplissage ne s’avère pas satisfaisant. Ou aussi quand sa pratique dite du flux tendu laisse en déshérence une clientèle au moindre incident technique. Pas d’avion de remplacement. La débrouille dans les aéroports. Le courroux des personnes en rade fréquemment contraints de dormir sur place faute de prise en charge efficiente.
Trous d’air
Impondérables en tant que tels imprévisibles arguent à l’envi les compagnies dites du bas prix en bon français. Elles rejettent dans une dialectique parfaitement rodée la moindre once de responsabilité. Comparaison n’est pas raison mais dans des cas similaires, nul n’ignore que d’autres prennent grand soin de la clientèle, affrétant au plus vite un appareil de remplacement, ou les acheminant vers un autre point de départ.
Cessons les digressions pour rappeler que la future délégation de service public entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Il incombe aux six élus d’une commission dédiée d’analyser les dossiers concurrents. Contrairement à une idée reçue, le montant de la compensation n’est qu’un des multiples critères déterminant le choix du lauréat. Dans le panel des examinateurs figurent notamment la qualité offerte par chacun des postulants. Elle implique les moyens, les types d’avions, la maintenance, les équipages, les personnels à bord et au sol. Avec en toile de fond la régularité et la ponctualité. Sans omettre les conditions de travail des salariés, tout autant que la vérification des charges sociales et patronales soient dûment acquittées.
À cet égard, c’est relever un secret de polichinelle que Air Corsica coche toutes les cases. En corollaire et sans s’appesantir sur l’aspect technique ou règlementaire, rappelons que comme elle en a possibilité, Volotea ne s’est positionnée que sur les lignes reliant Orly et Marseille depuis Ajaccio et Bastia. Elle a en revanche ignoré les autres aéroports, sans doute jugés moins lucratifs.
Le bon choix
En toute hypothèse trois scénarios majeurs émergent. Une attribution des lots, de nouvelles négociations. Ou décision couperet un appel d’offres infructueux. Comme cela fut en son temps l’épisode Air Littoral.
Il serait à tout le moins surprenant que l’Assemblée de Corse écarta d’un revers de manche le régional de l’étape. Le motif ? Le juste prix au regard du cahier des charges demandé. Et la satisfaction du travail réalisé au fil des années. Des raisons, qui en épilogue, pourraient inciter à ne pas lâcher la proie pour l’ombre.
Parallèlement, nul n’écarte la possibilité que soit jouée la carte du trouble à l’ordre public. Les enjeux sont en effet également humains. Quelque sept cents emplois locaux sont concernés. Les représentants des personnels commencent déjà à laisser percer leurs craintes qui inévitablement se transformeraient en colère revendicative si d’aventure un nouvel opérateur raflait la mise. Une ire qui de corporatiste risquerait de devenir sociétale, faisant tache d’huile au sein de la population.
Le temps des doutes s’instaure. Affirmant avoir une excellente copie et une expérience pétrie d’efficience, des syndicalistes affirment avec force et vigueur qu’ils ne seront pas les dindons de la farce, au nom d’hypothétiques promesses et de la petite musique du « demain on rase gratis ».
Le hiatus sarde
Et tous de flétrir sans nulle précaution oratoire que celui qu’ils nomment déjà l’ennemi accumule les retards, laisse en plan les voyageurs ou annulent des vols sans nul préavis. Puis jouant sur la corde sensible d’imaginer ces dysfonctionnements qui d’aventure surgiraient au détriment de ce que l’on nomme communément l’avion des malades en référence aux patients contraints de consulter des praticiens dans la cité phocéenne notamment. Ou s’y rendre régulièrement pour subir les soins que nécessite leur état de santé. Ce serait l’émeute à Poretta ou Campo dell’Oro. Tel autre de renchérir au détour de ce chapelet aux accents de réquisitoire « Imaginez des enfants voyageant seuls, livrés à eux-mêmes loin de leur parents ? »
Faisant chorus un pilote indique à toutes fins utiles qu’en Sardaigne, Volotea se dégagea prématurément de quatre rotations qu’il aurait dû assurer dans le cadre de la continuité territoriale. Reniant en cela l’accord des obligations de service public.
L’œil de l’Europe
Il n’empêche quelles que soient les ambitions catalanes ou la volonté de maintien insulaire, cette nouvelle donne sera scrutée avec acuité par les instances européennes. On sait depuis belle lurette l’absence d’empathie qu’elles nourrissent avec tout ce qui ressemble, fut-ce marginalement, avec l’entrave à la libre concurrence et au favoritisme, réel ou supposé. Aussi Bruxelles n’hésitera pas à actionner la guillotine sans autre forme de procès ni plaidoyer possible. Empruntant à Tocqueville et son « laisser faire », l’entité supranationale ne laisse place à nulle mansuétude. Quels que soient les considérants, la réalité locale ou l’argumentaire de celui qui déroge, fut-ce en conscience et en résonance avec le bien commun.
Le dilemme est presque cornélien. Permettre pour de louables raisons à Air Corsica de poursuivre son bonhomme de chemin et s’attirer les foudres des cieux bruxellois. Ou à l’inverse opter pour le changement. Cette seconde décision des édiles appelés à trancher n’a qu’une mince chance, c’est un euphémisme, de se concrétiser.
Escale juridique
Dès lors Volotea aurait beau jeu de crier à l’injustice manifeste. Ester en justice pour tenter d’obtenir un dédommagement ? Plausible sinon certain. Il est même des esprits suspicieux avançant l’idée que tel est le seul et unique but de sa manœuvre, tant elle était d’emblée certaine que sauf divine surprise elle n’obtiendrait pas gain de cause.
Dessine-moi un avion dit l’enfant à l’artiste. Et ce dernier d’acquiescer en demandant aux couleurs de quelle compagnie ? Cela peut paraître puéril mais ici nombreux sont ceux qui se sont accoutumés à certaines lettres et une effigie sur la carlingue. Ils ne voient pas la nécessité d’en changer…
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