Le père Noël – Par Dominique Memmi
Mes Chers enfants, Chers parents, Chers tous,
Cela fait des siècles que je reçois vos lettres avec toujours ce même verbe «demander» conjugué à tous les temps et à tous les modes. Je ne nie pas que certains usent de jolies formules de politesse, de bons mots dispersés comme ces petits cœurs dessinés naïvement sur le coin du papier ; cependant, avec tout l’amour que je vous ai donné, tous les Black Friday que j’ai dû me coltiner pour bénéficier de quelques réductions afin d’obtenir des objets à vous offrir, toutes ces heures d’attente aux caisses des marchés superlatifs alors que les clients m’observaient goguenards, ricanant doucement de mon accoutrement, et toute cette honte que j’ai dû ravaler maintes fois pour votre petit bonheur consommateur, je vous le dis, j’en ai assez. Basta !
Tout ce temps où je me suis gelé aux confins du monde, là où même un rat n’oserait aventurer son museau; ces longs hivers qui m’ont rendu gras, à coup de raclette et de chocolat pour supporter les plus basses températures et la solitude, ces nuits interminables à rêver d’ailleurs, je vous le dis comme je le pense, j’en ai plus qu’assez ! Avez-vous seulement imaginé une seule fois durant ces 364 autres jours, ce froid
qui vous glace l’âme avec pour seule compagnie de vieux rennes qui puent ? J’ai été plus sage que la plupart d’entre vous et je ne demande jamais rien à personne. C’est pourquoi cette année et toutes celles qui vont suivre, je ne répondrai plus à vos lettres, courriels et autres missives destinées à me soutirer un cadeau de gré ou de force, je ne tenterai plus de me glisser dans les conduits de cheminée au risque de me rompre le cou, je ne porterai plus cette hotte ridicule qui me nique le dos et m’oblige à porter une ceinture chauffante le reste de l’année. C’est fini !
J’en ai ras le bol de distribuer des jouets qui finiront au mieux dans les poubelles du tri sélectif, au pire sur ebay deux jours après Noël. J’en ai plus qu’assez de faire l’aumône à ceux qui pètent dans la soie. Débrouillez-vous, faites travailler vos doigts et votre imagination, moi je rends mon manteau et mes bottes. Ah! Je sais, raccommoder c’est antisocial. Et bien voyez- vous, je ne veux plus participer à cette mascarade et nuire à l’esprit des hommes. Vous allez sans doute me trouver vulgaire, mais à dire vrai, la croissance je m’en moque comme de mon premier soulier, et je me fous de ce que vous pouvez penser de moi. J’ai fait le job et j’ai passé l’âge de me soucier du qu’en-dira-t-on. Alors voilà, vous ne recevrez rien, nada, walou, peanuts… que vous ayez été bon ou méchant, ça m’est parfaitement égal. Sans vouloir vous vexer, si les bons étaient les seuls à être récompensés, j’aurais eu moins de boulot. Bien, l’heure n’est pas aux reproches mais à la vérité. Voilà ! Je largue mes rennes pour Zanzibar, sa vaste plage de Nungwi et ma princesse en paréo.
Et bien oui ! J’ai rencontré une femme, un amour. Moi aussi j’ai des désirs, qu’est-ce que vous croyez ! Le monde a sa folie, j’ai désormais la mienne. Et pour reprendre les mots du poète, je ne veux plus vivre dans ce conte que mes semblables prennent pour la vie.
Aussi, comme je ne suis pas un ingrat, je vous souhaite à tous de vivre un Noël sans moi, un Noël sans intermédiaire. Que ce soir particulier soit voué à l’amour, à tous les amours. Demander la lune !
Le produit rare est en vous, surtout croyez-y !
Père Nicolas
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