CRISE DÉMOCRATIQUE ?

Non seulement en France mais dans toute l’Europe voire mondialement la démocratie semble s’effacer ou faiblir face à la tentation autoritaire ou totalitaire. Le nombre des pays démocratiques recule, les extrémismes particulièrement de droite prospèrent, et les fanatismes religieux retrouvent une pleine vigueur.

Par Michel Barat, ancien recteur de lAcadémie de Corse

La démocratie serait en crise. Mais qu’entend-on vraiment derrière cette expression alarmante ? Dans notre pays c’est sans doute une perte de confiance dans l’action politique renforcée par une assemblée sans majorité, par la violence de certains responsables politiques faisant preuve bien souvent non seulement d’irrespect ou de mépris mais aussi pour certains d’une inculture érigée en populisme. Tout cela est vrai. Cependant ils ont bien été élus démocratiquement et d’une certaine manière renvoient l’image des électeurs. La crise n’est donc pas simplement ponctuelle, elle touche la structure de ce que nous appelons démocratie.

Une crise n’est pas d’abord un effondrement même si elle finit par le provoquer. Ce sont les bulles financières qui conduisent aux krachs boursiers. Une crise est bien plutôt un paroxysme provoquant souvent une catastrophe. La définition courante et la plus rapide de la démocratie est « le gouvernement du peuple par le peuple ». Il est coutume de faire d’Athènes la mère de la démocratie en oubliant que la cité grecque était aussi peuplée d’esclaves et de métèques, hommes libres sans droits civiques. Le terme « cratie » signifie d’abord force avant de dire pouvoir. « Demos » a comme première traduction dème, structure élémentaire de la Cité. Avant de signifier peuple, il fait plutôt signe vers l’État.

Lerreur de Mélenchon

La démocratie au sens grec c’est donc d’abord la force des citoyens et non pas des purs individus. Le citoyen se constitue dans son dème avant de constituer la cité. Le gouvernement du peuple n’est pas celui des gens, comme aime à le dire Jean-Luc Mélenchon, mais celui d’une entité politiquement constituée. Quand le peuple n’est plus qu’une foule de gens la démocratie se dégrade en « ochlocratie », gouvernement de la foule, populisme, dirait-on aujourd’hui. Le peuple se dissout dans la foule quand le citoyen se défait dans l’individu. Avec une telle dissolution il n’y a plus de liens politiques ou simplement solidaires, mais une collection d’individus : l’intérêt général qui se dit république en latin, chose publique, éclate dans la multiplicité des intérêts privés. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 fonde les droits humains dans la citoyenneté : l’homme n’a de droits que parce qu’il est citoyen, s’il se réduit à un individu il n’a plus de droits mais entre dans un rapport de force de chacun avec chacun ou de tous contre tous. La démocratie se dissolvant dans l’ochlocratiegénère « la guerre de tous contre tous » comme le démontre le De Cive de Hobbes.

Vertu citoyenne

« L’individu cessant de s’inscrire dans l’idéal républicain redevient un individu dont le seul moteur est la satisfaction de ses désirs. »

Selon Montesquieu la démocratie implique la vertu, la vertu du citoyen qui met l’intérêt général au-dessus du sien. Si cette vertu vient à manquer elle dégénère en anarchie qui ne pourra engendrer que la tyrannie. C’est pourquoi l’article 3 de la Déclaration de 1789 stipule : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » L’idée démocratique s’est révélée au cours du temps victorieuse au point que les pays démocratiques finissaient par remporter les guerres que leur faisaient les pays totalitaires.

Mais cet apogée de la démocratie l’a conduite sur une ligne de crête proche du précipice. La liberté du citoyen s’est dégradée en caprice du consommateur : l’individu cessant de s’inscrire dans l’idéal républicain redevient un individu dont le seul moteur est la satisfaction de ses désirs. Il n’y a plus de citoyens ni même de producteurs il ne reste plus que des consommateurs avides de leur consommation.

Anarchie consommatrice

Le libéralisme économique et politique qui fut source de prospérité et de liberté s’est perverti en néolibéralisme ou ultralibéralisme oublieux de la citoyenneté et de la production de la valeur au profit du consumérisme et de la circulation de la valeur.

La crise de la démocratie c’est l’effacement de la République, la fin du libéralisme de progrès pour l’anarchie consommatrice. C’est l’application du principe de Schumpeter pour qui toute innovation et tout progrès ne sont d’abord que destruction, destruction en fait de toute citoyenneté.

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