Crise institutionnelle – Les grands dossiers corses dans la tourmente

Un Président pris entre l’enclume et le marteau. La chute de l’éphémère gouvernement Barnier et l’avènement d’un nouveau. Une situation économique et sociale qui frise le point du non-retour. Les vents mauvais soufflent et ne sont que la partie visible d’un délitement institutionnel. Au-delà des conséquences nationales, le rejet du budget pourrait avoir de néfastes conséquences financières pour l’île tandis que le processus d’autonomie jouerait l’Arlésienne.

Par Jean Poletti

« La politique, c’est comme l’andouillette, ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. » La phrase d’Édouard Herriot, au demeurant peu ragoûtante, semble pourtant avoir une odeur acceptable en regard des actuels relents. Se pincer le nez n’empêche pas les miasmes que charrient des relents annonçant qu’un pays est en lisière de l’inconnu. Gouverner c’est prévoir. L’antienne est connue. Mais d’aucuns voulurent s’en affranchir jouant les Jupiter au petit pied pour finir roi nu.

Ergoter sur les conséquences, tirer des plans sur la comète, tenter de jouer les sauveurs renvoyant à l’être suprême ne sont ici et là qu’arguties, sans une autocritique que réclame l’enjeu. Le procès d’intention n’est plus de saison. Mais l’équité commande à dire que la motion de censure ne fut que la partie de l’iceberg d’un mal profond. La sanction ne doit pas alimenter les cris d’orfraie ou un refrain de succès mais ouvrir la porte aux interrogations. Elles tiennent en une seule phrase teintée de fausse interrogation : comment en est-on arrivé à une telle extrémité ? Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler que depuis l’avènement de celui qui se voulait le maître des horloges, les gouvernements successifs ne brillaient nullement par leur efficience. Nombre de ministres étaient exclusivement connus dans leurs immeubles. Sous les feux de la rampe, ils débitaient inlassablement des éléments de langage émanant des conseillers du prince, à l’image d’un Alexis Kohler, l’omnipuissant et secret alter ego du chef de l’État. Comme en écho, Mélenchon qui rêve du grand soir de la révolution entonnait le répertoire « bruit et fureur. » Tandis qu’en contrepoint Marine Le Pen jouait la respectabilité qu’habillait la formule du costume-cravate. Cet antagonisme n’était qu’artifice. Prompt à s’effacer si l’opportunité se présentait.

Stratégie en miettes

Le malaise couvait depuis quelque temps déjà, avec des poussées de fièvre aux couleurs des « gilets jaunes » ou le front du refus de la réforme des retraites. Il connut son apogée électorale avec la cuisante défaite des macronistes aux Européennes. Dans la solitude de sa conscience, le Président joua la carte de la dissolution. « J’ai jeté une grenade dégoupillée », dit-il alors, sans penser qu’elle lui reviendrait en boomerang. Nul besoin d’être grand analyste pour percevoir que sa stratégie consistait à ouvrir un boulevard au Rassemblement national, confier les clés de Matignon à Jordan Bardella dans l’espoir qu’il se fracasse et se démonétise sur les écueils de la gestion. Et ainsi entraîner dans sa déroute la droite extrême lors de la future présidentielle. « On n’est jamais trahi que par les siens », l’adage se vérifia. Il prit les traits de l’ambitieux Attal, qui en l’occurrence ne fut pas l’ange Gabriel de Macron. Il s’afféra à donner force et vigueur au fameux front républicain. Et l’on vit des Insoumis permettre l’élection de macronistes ou des tenants du libéralisme. Et dans une réciprocité sans faille des leaders de droite se désister en faveur de socialistes, mélenchonistes, ou des candidats du parti présidentiel. Embrassons-nous, Folleville ! Pari perdu pour Macron. Le résultat aboutit à un parlement éparpillé façon puzzle.

Les faits sont têtus. Le stratagème et autre coup de Jarnac se soldent parfois comme la mésaventure de l’arroseur arrosé. Cela prêterait à sourire si l’horizon n’était obscurci par une cohorte de nuages noirs. La messe est-elle dite ? Il n’y aura pas de propos lénifiant lors de l’inauguration de Notre-Dame, ou un message aux Français de dix minutes à la télévision pour chasser une angoisse prégnante.

Négociateur surévalué

De revers en échecs, le Président élu à deux reprises, non par adhésion mais pour faire barrage au lepénisme, lui octroya finalement le rôle d’arbitre et de censeur. Comme dans les jeux du cirque, il a suffi qu’il tourne le pouce pour crucifier un Barnier qui pourtant alla à Canossa en essayant de l’amadouer, usant de renoncements qui confinaient au ridicule. En moins de temps que les fameux cents jours de Napoléon, dont on sait comment ils s’achevèrent, celui que d’aucuns auréolaient de négociateur émérite du Brexit, ne fut-il pas habillé d’un costume trop grand pour lui ? Il y a en effet une différence entre gérer le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et le rôle de chef de gouvernement. Dans un cas, il s’agissait d’organiser les modalités d’un départ volontaire dont le principe était accepté par l’ensemble des partenaires. Dans l’autre, déployer des trésors d’ingéniosité pour rassembler ce qui était épars. Et en l’occurrence celui qui revenait sur scène après quinze ans d’absence, se limita à passer sous les fourches caudines de la droite-extrême qui opta pour la tactique du toujours plus, avant de lui donner le baiser de la mort. « Je ne pensais pas qu’elle oserait. » La phrase qu’il prononça suffit à expliquer sa fatale erreur de jugement. Celle qui le fit tomber de son piédestal où certains l’avaient exagérément placé. L’union des extrêmes ? L’alliance factuelle du rouge et du noir ? Cela s’est déjà produit dans l’histoire contemporaine. Et cette fois elle renaît de ses cendres, à la lueur des erreurs présidentielles.

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