Quand le Sarayu accoste dans la nuit du 2 au 3 novembre à Porto-Vecchio, la solidarité, et l’administration, s’organisent. Instantanément les premières réactions fusent sur les réseaux sociaux, la nouvelle norme. Ou quand les petits caractères remettent en question les grands principes.
Par Caroline Ettori
« Vers 21h30 avisé par la préfecture maritime et le commandant aux affaires portuaires, la capitainerie du port m’a appelé pour faire état de l’arrivée imminente d’un voilier d’une quinzaine de mètres qui aurait abrité une douzaine de personnes d’origine syrienne », relate le maire de Porto-Vecchio Jean-Christophe Angelini.
Suite à cet appel, une action conjointe est rapidement décidée entre commune et services de l’État représentés sur place par le sous-préfet de Sartène Arnaud Gillet. Dès 22 heures, une cinquantaine d’agents publics est mobilisée. Sapeurs-pompiers, gendarmerie, douanes, police des airs et des frontières, Samu, médecins, infirmiers, agents municipaux, élus… qui flèchent et organisent le débarquement des passagers et du skipper du Sarayu. La prise en charge sanitaire est immédiate, l’administrative, elle, se prolongera tard dans la nuit.
L’ami Fritz
Très vite, nous apprendrons que ces personnes appartiennent à une même famille comptant une femme enceinte et deux enfants de 1 et 3 ans, emmenée par Ahmed, le patriarche. Partis de Turquie, ils souhaitaient se rendre à Bormes-les-Mimosas pour rejoindre l’Allemagne. Leur skipper, Fritz Demmer, un septuagénaire allemand et ami d’Ahmed devait assurer le transport à ses frais jusqu’au continent. « Les passagers étaient tous très malades et dans l’incapacité de m’aider alors, quand je suis arrivé près de Porto-Vecchio, et que j’ai vu arriver les bateaux des gardes maritimes, je les ai contactés. Je ne voulais pas leur imposer plus de souffrances. » Placé un temps en garde à vue, il sera rapidement relâché et confiné dans un hôtel ajaccien. Précaution sanitaire oblige. Fritz n’est pas un passeur. Simplement un bon camarade qui voulait aider au rapprochement familial refusé depuis si longtemps à Ahmed, détenteur du statut de réfugié en Allemagne.
Le passage de ces migrants dans l’Extrême-Sud aura duré moins de 72 heures. Isolés dans un hôtel de la région, ils ont été transférés à Marseille dans un centre de rétention administration et finalement libérés par le juge des libertés et de la détention pour « absence de motif de prolongation » du maintien en détention et « dans l’intérêt supérieur des enfants », a annoncé à l’AFP Laure Palun, directrice de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, qui a accès aux zones d’attente. Depuis, la famille aurait rejoint la Belgique. Fin de l’histoire. Ou presque.
Une communication en crise
L’arrivée de ces réfugiés syriens a fait comme il se doit le tour des médias, nationaux et internationaux. Si « l’événement » n’est pas anodin pour la Corse, il reste néanmoins anecdotique sur l’échelle de la crise migratoire. D’autant plus que les migrants ne faisaient que migrer et n’avaient aucune intention de s’éterniser en Corse ni même sur le territoire national. L’île n’est pas un nouveau Lampedusa. Et n’est plus vraiment l’île des Justes. Dès l’annonce de l’accueil de cette famille, les réseaux sociaux, renommés médias sociaux par quelques flèches du marketing, ont vu s’échouer des réactions pour le moins contrastées. « Je comprends que certaines personnes puissent avoir peur et manifestent leurs craintes. Cependant, il n’était pas question de ne pas tendre la main à cette famille. C’était un simple geste d’humanité, indispensable et naturel », note Jean-Christophe Angelini. Les réseaux, entre effet loupe et miroir déformant de nos sociétés, la problématique est désormais bien connue. Mais que penser des trop rares réactions des représentants de l’État et du personnel politique insulaire ? 2018, l’Aquarius et ses 629 réfugiés paraissent bien loin. Ou des réactions tardives qui auraient peut-être été plus vives si Porto-Vecchio n’eut pas été Porto-Vecchio ? Les messages Twitter du président du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni ou de la présidente de l’assemblée de Corse Marie-Antoinette Maupertuis, engagent-ils l’institution qu’ils représentent alors même qu’aucune communication n’a émané de leurs services ?
L’épiphénomène au-delà du drame humain et des questionnements humanitaires qu’il soulève a également révélé une nouvelle communication de crise. L’opinion publique ou plutôt les opinions des publics sur les réseaux sociaux valent boussole déréglée pour élus à indignation variable. Le lien direct, plus « démocratique », le dialogue ouvert par ces mêmes réseaux annihilent la portée de l’institution politique au profit de son incarnation. Rappelons malgré tout que les élu.e.s de tous bords passent mais que les institutions, elles, ont une fâcheuse tendance à durer.
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