Démocratie sondagière
On a beau taper sur les sondages, sans eux, la campagne n’aurait pas le même attrait. À chaque scrutin, il est de bonne guerre de trouver un bouc émissaire et de faire porter le chapeau aux sondages. Mais s’en passer est non seulement illusoire mais aussi absurde.
Par Vincent de Bernardi
La critique est récurrente. Après chaque scrutin, on entend le même couplet : « Ils se trompent tout le temps. Regardez, ils n’ont même pas vu qu’Éric Ciotti arriverait en tête au premier tour de la primaire des LR » ; ce qui est parfaitement normal, puisqu’il n’y a pas eu d’enquête réalisée auprès des adhérents !
Alors faut-il se sevrer des sondages. Le débat agite les médias depuis plusieurs années. Certains ont pris la décision de ne plus commander et publier d’enquêtes d’intention de vote, à l’instar de Ouest-France au motif que le recours systématique aux sondages serait dangereux pour la démocratie. « À chaque élection, on veut connaître le résultat avant même que les Français aient voté », déplorait le rédacteur en chef du quotidien breton dans un récent éditorial, avant de préciser que c’est davantage l’interprétation des chiffres qui est en cause que l’outil lui-même. Pour lui, « ce n’est pas la consultation de “panels représentatifs” qui redonnera de la vigueur à la démocratie, c’est l’écoute et la consultation de chacune et chacun. Il est urgent de rebâtir un espace politique au contact immédiat des citoyennes et des citoyens ».
On peut admettre qu’en cette période de très forte intensité politique, la surabondance d’enquêtes électorales vient troubler le jeu et la compréhension du rapport de force. Mais, encore faudrait-il ne pas mélanger les choses. Entre les intentions de vote bon marché et les enquêtes mesurant les attentes, les préoccupations, les préférences des Français, il y a un monde.
Éclairage édifiant
Le sociologue Cyril Lemieux, auteur d’un ouvrage sur le rôle des sondages, souligne que « si les sondages menacent la politique, c’est seulement parce que nous nous laissons aller à croire que ce qu’ils décrivent est ce qui va se passer ».
La critique sur le manque de fiabilité des sondages, renforcée par des arguments faciles sur les marges d’erreur, bute sur une réalité très simple : « notre incapacité à prédire l’avenir en raison même d’un phénomène qui veut que le présent ne peut pas être le futur. Ça s’appelle tout bêtement le temps » !
Par ailleurs, la démocratie ne se résume pas à l’acte électoral, elle repose sur bien d’autres dimensions comme la participation et l’implication politique des citoyens. Et ce ne sont pas les sondages qui constituent le risque le plus grand pour la vitalité démocratique. Ils nous renseignent d’ailleurs, de manière très éclairante, sur l’attachement des Français à la démocratie.
Une récente enquête de l’Ifop montre qu’une majorité considère que le fonctionnement de la démocratie s’est dégradé durant le quinquennat d’Emmanuel Macron. Pour autant, le système démocratique n’apparaît pas comme étant toujours le meilleur des systèmes politiques. 57% des personnes interrogées par Opinion Way dans la dernière vague de baromètre de confiance politique pour le Cevipof se disent d’accord avec l’idée « qu’il faut mieux un système politique moins démocratique mais qui assure plus d’égalité et plus de justice sociale ».
Opinion fracturée
Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, souligne que l’opinion se fracture en plusieurs groupes dont deux pèsent de manière équivalente (autour de 30%) : les « démocrates » qui refusent tout affaiblissement de la démocratie au nom de la sécurité, de l’égalité, ou de l’enrichissement et les « critiques » qui adhèrent à l’idée de perdre des libertés au profit d’une amélioration de leurs conditions socio-économiques.
La lecture de cette étude et l’analyse qui en est faite par les sociologues montrent la pertinence des sondages pour comprendre les comportements des individus. Cette enquête du Cevipof renseigne sur un élément fondamental qui doit tous nous alerter. La défense intransigeante du régime démocratique est désormais minoritaire.
Les causes du mal
L’idée d’une amélioration de la condition socio-économique par la démocratie ne parle plus qu’aux Français plutôt âgés, issus des catégories aisées, diplômés, se positionnant à gauche ou au centre de l’échiquier politique.
Ce n’est donc plus l’impuissance de l’État qui est en cause mais bien celui de notre système démocratique. C’est en connaissant la cause du mal que l’on peut y remédier. Et les sondages en sont un outil indispensable.
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