Chaque fois qu’une réforme décentralisatrice est envisagée, elle a ici pour habituelle compagne de route une fracture qui traverse tout l’échiquier politique. L’actualité le démontre à nouveau. Sous l’ère de la gauche, et en incidence celle de Sarkozy, prévalait une méthode avec en corollaire la volonté d’aboutir. Cette fois, la conjonction de lignes rouges, l’improbable consensus pourtant réclamé par Darmanin et ses pas de clerc, alourdirent le climat insulaire, ourlant l’avenir du spectre du vieux démon des déchirements et la résurgence de la clandestinité.
Par Jean Poletti
La Corse serait-elle frappée d’une sorte de malédiction? Par quelle curieuse alchimie, tout projet évolutionniste semble synonyme d’oppositions frontales ou diffuses de la classe politique? Pourquoi ce concept de spécificité, qui irrigue désormais la société, est-il battu en brèche sitôt qu’une avancée est proposée? Une sorte de schizophrénie qui rend actuellement le dossier d’autant plus ardu à résoudre, tant du côté de Paris il semble que certains le soutiennent comme la corde soutient le pendu. En prononçant le mot autonomie l’actuel ministre de l’Intérieur sembla donner l’impression qu’il répondait davantage au souci d’éteindre un incendie qu’à une décision mûrement réfléchie. Là est sans doute le hiatus originel. Que l’on sache, cette mutation institutionnelle n’était pas dans les cartons du pouvoir. Elle fut une réponse factuelle aux débordements consécutifs, au guet-apens mortel d’Yvan Colonna dans les circonstances que l’on sait. Sans doute rapidement happé par les conséquences de son annonce le pensionnaire de Beauvau ne cessa d’alterner volontarisme et réserves. Acquiescements et restrictions. D’aucuns évoqueront un double langage. D’autres, la crainte de se fourvoyer dans une problématique dont il n’avait pas appréhendé les méandres. Annihilant, faute de succès, toutes ses chances à la prochaine présidentielle. Exemple éloquent, lors de la commémoration de l’assassinat de Claude Érignac, il eut des mots évoquant l’impérieuse nécessité de scruter le futur avec sérénité. Et de marteler « Il est temps d’écrire une nouvelle page de l’histoire de la Corse, le gouvernement de la République est prêt. Il vous attend, il tend la main.» Qu’en termes élégants, ces choses-là sont dites, aurait acquiescé Molière. Mais dès le lendemain, sur une radio nationale, il employa une formulation sinon opposée à tout le moins différente, soulignant à l’envi les limites, presque les ukases, concernant la plausible réforme. Puis faisant fi d’une délibération
largement adoptée par l’Assemblée territoriale, il réclama sans sourcilier l’unicité des édiles. Sans doute une manière de remettre dans le jeu la droite insulaire.
Mouvances balkanisées
Au-delà de tout jugement de valeur, et même si une telle volonté partait d’un bon sentiment, il passa ainsi par profit et perte le sacro-saint vote majoritaire qui prévaut en saine démocratie. D’autant que cette stratégie fut une pomme de discorde dans le camp libéral fractionnée entre la démarche incarnée par Laurent Marcangeli et Valérie Bozzi et celle défendue par Jean-Martin Mondoloni. Les premiers globalement partisans d’une autonomie, avec en contrepartie la territorialisation du mode de scrutin de l’Assemblée de Corse et la création d’une métropole ajaccienne. Le second, selon sa formule, préférant adapter les lois existantes plutôt qu’en adopter de nouvelles. Dans un calendrier qui ne doit rien au hasard, Nazione fut porté sur les fonds baptismaux. Agrégeant notamment Corsica Libera et Patriotti, il prône l’émergence d’une République corse. >>>
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