Dérive bonapartiste
Tout est parti de Twitter. Lors de sa première intervention au Parlement européen, François-Xavier Bellamy cite Charles Péguy. Immédiatement, son collègue Pascal Durand étiqueté « En marche » s’indigne sur le réseau social qu’un élu puisse faire référence à un poète « nationaliste, belliqueux et réactionnaire».
Par Vincent de Bernardi
Une avalanche de commentaires s’abat alors sur celui qui croyait faire un « bon mot politique » pour stigmatiser une droite en perdition, tiraillée entre progressisme et tentation nationaliste. Pascal Durand que personne ou presque ne connaissait jusque-là s’est attiré les foudres de tous ceux qui connaissent l’œuvre de Péguy. Leurs commentaires sont sans appel. Mathieu Giroux, spécialiste du fondateur des Cahiers de la Quinzaine souligne que « cette saillie illustre une nouvelle fois l’inculture philosophique et littéraire qui frappe la grande majorité du personnel politique d’aujourd’hui ». Et d’ajouter qu’on « n’imagine pas un De Gaulle, un Pompidou, un Mitterrand ou un Chevènement, faire une sortie aussi consternante ». Dreyfusard anarchisant, Charles Péguy fut un militant socialiste, converti au christianisme, plus belliciste que belliqueux, plus nostalgique que réactionnaire, plus patriote que nationaliste.
Cette affaire, qui a par certains aspects un côté dérisoire, voire ridicule, illustre plus profondément une tendance de la majorité à vouloir réécrire l’histoire, à empêcher le débat, et à donner des leçons de démocratie, sauf quand c’est le président de la République qui cite lui-même Charles Péguy, alors même que la France qu’il cherche à construire est très éloignée de la « cité harmonieuse » prônée par l’écrivain.
Parti unique
La France « En marche » porte en elle une tentation centralisatrice et autoritaire. On l’a vu incidemment s’exprimer depuis deux ans. Derrière le discours d’ouverture, la république macroniste vire au bonapartisme version Second Empire. Hors du parti du président, point de salut. Marlène Schiappa ne l’exprimait pas autrement dans une tribune publiée récemment dans Le Journal du Dimanche. « La République en marche n’a pas vocation à diviser en courants, mais à élargir. Que vous veniez de LR, d’EELV, du PS ou du Parti animaliste, tout ce qui nous intéresse, c’est : êtes-vous prêts à faire passer votre pays avant votre parti ? Êtes-vous prêts à porter et défendre des idées, peu importe leur provenance, au service des Français ? » Cela revient à dire que la démocratie version « En marche » invite les opposants à ne plus s’opposer et à rejoindre un « parti unique » sous peine d’apparaître comme anti-républicain. Gilles Boyer, nouvellement élu député européen sur la liste Renaissance de Nathalie Loiseau, ne disait pas autre chose en évoquant les futures élections municipales : « un maire qui sera réélu sans l’apport de LREM sera un ennemi du Président ». Autrement dit, être contre Emmanuel Macron, c’est être contre le progressisme, pour le nationalisme. Les regrets exprimés par l’euro-député, ex-conseiller d’Édouard Philippe, n’y changent rien. La République en marche joue cette petite musique en bruit de fond.
Tentation autoritaire
Albert Zennou dans Le Figaro souligne que « réduits à la portion congrue, les partis de gouvernement, de gauche comme de droite, ne peuvent plus être des interlocuteurs crédibles, car trop affaiblis pour être entendus. Là encore, il en va d’une certaine idée de la démocratie. Dominique de Villepin avait aussi très tôt attiré l’attention d’une tentation autoritaire du pouvoir en place. La gestion de la crise des gilets jaunes n’a fait que renforcer cette perception. Le président du Sénat y est aussi allé de son couplet dénonçant les propos du ministre chargé des collectivités locales qui appelait les maires de droite à « quitter LR pour œuvrer aux côtés de la République en marche ». « S’il n’y a pas d’autre alternative que La République en marche et le Rassemblement national alors notre démocratie peut être un jour menacée », s’est inquiété Gérard Larcher. Derrière la tentation hégémonique, celle du parti unique n’est jamais loin analyse Albert Zennou. Le mot est lâché, non sans raison ; ne pas pouvoir citer Péguy, ne pas pouvoir débattre avec Marion Maréchal ou la France Insoumise, sans déclencher un vent d’indignation et critiques à l’emporte-pièce, dire que ne pas être avec Macron, c’est être un ennemi plus qu’un adversaire, voilà une bien inquiétante conception de la démocratie.
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