La stratégie de François Rebsamen

Le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation avait revêtu ses habits de « Monsieur Corse » pour une visite de trois jours dans l’île. Celui qui fut un proche conseiller de Pierre Joxe, et l’un des artisans du statut n’est pas comme tant d’autres en service commandé. Il est un fervent partisan de l’autonomie. Pourra-t-il décanter un processus qui s’enlise dans le temps et se heurte à l’instabilité parlementaire teintée d’hostilité ?
Par Jean Poletti
François Rebsamen n’a nul besoin d’écouter et d’entendre le plaidoyer de ceux qui aspirent ici à la réforme institutionnelle. Il en est un adepte convaincu. Cela tient chez lui et depuis longtemps à une certaine idée de la Corse. Celle qui allie spécificité et particularisme et ne peut s’épanouir dans le carcan du droit commun. Depuis des années, il a une claire vision de la problématique et est intimement persuadé que la République n’a nulle crainte à éprouver en reconnaissant les différences. Notamment lorsqu’elles sont inhérentes à l’insularité et l’histoire.
Durant trois jours, il sillonna le territoire à la rencontre des autorités administratives et politiques. Ainsi put-il enrichir sa doctrine à l’aune d’une actualité économique et sociale dans un environnement de précarité.
D’emblée il apparut que la tonalité tranchait avec celle de certains de ses prédécesseurs. Sans ouvrir ici une liste comparative disons simplement que Catherine Vautrin n’avait pas en l’occurrence la foi du charbonnier. Tandis que Jacqueline Gourault désormais au Conseil constitutionnel se contenta de livrer des propos d’estrade dans une nébuleuse sémantique semblant mélanger la chèvre et le chou.
Rebsamen n’a que faire de ces élégances rhétoriques qui laissent un dossier en suspens.
Une seconde vie
Puisant dans son passé qu’alimente une claire conscience, il a n’a qu’une phrase en forme de pressente invite : « le temps de l’action est venu ».
Est-ce à dire que depuis l’épilogue paraphé par Gérald Darmanin trop de temps fut perdu ? Il ne le dit pas en leitmotiv mais quelques incidences permettent de conforter ce sentiment. D’ailleurs l’ancien ministre de l’Intérieur qui vint annoncer sans ambages l’idée d’autonomie s’attela à ce concept. Et annonça en rendant son portefeuille que le dossier était techniquement bouclé et qu’il appartenait désormais à l’Élysée de le soumettre à l’examen parlementaire. Redevenu député, il ne se priva pas de fustiger l’attentisme et une constance toute relative qui se prolongeait à l’envi. Réinsuffler une seconde vie. En finir avec la léthargie. Voilà la doctrine qui s’esquissa sitôt que Rebsamen mit le pied sur notre sol.
Disons au nom de l’équité, que la dissolution et l’éphémère gouvernement Barnier constituèrent, sinon un coup d’arrêt, à tout le moins une parenthèse de la sempiternelle question Corse. Tandis que la dramatique surprise de finances publiques exsangues impliquait des priorités synonymes de survie étatique, reléguant au rang accessoire la Corse. Celui qui fut à l’époque qualifié de négociateur hors pair, tant il était auréolé de sa gestion du Brexit, ne méritait sans doute pas les unanimes louanges décernées d’emblée. Il y a en effet loin de la coupe aux lèvres, entre la mise en forme juridique d’un pays qui aspire à sortir de l’Europe, et celle qui sied à un occupant de Matignon. Il fit sans garde-fou le pari de caresser le Rassemblement national dans le sens du poil, intronisant Marine Le Pen en vice Première ministre de fait et arbitre. Celle-ci sans doute poussée par ses troupes, voulant effacer dans l’opinion publique ses embarras judiciaires, ou mécontente que certaines de ses revendications ne soient honorées que partiellement, pointa le pouce vers le bas faisant adopter la motion de censure.
Un pilote à Matignon ?
Exit le fugace chef du gouvernement, suscitant des larmes de crocodiles dans son camp, peu amène avec ce revenant sur la scène nationale après sa longue éclipse bruxelloise. D’ailleurs, son incursion lors des primaires de la droite dans le cadre de la présidentielle indiquait mieux que longs discours sa popularité. Il finit bon dernier des candidats.
Nouvelle donne avec Bayrou. Au-delà du jugement de valeur, force est de reconnaître qu’il intègre les codes et les arcanes des boutiques politiciennes. Il sait jouer sur les forces et les faiblesses du microcosme. Allant même jusqu’à tordre le bras d’Emmanuel Macron pour se faire nommer Premier ministre. Il savait le Président, qui aurait préféré désigner Catherine Vautrin à ce poste, trop affaibli pour contrecarrer l’ambition qui le taraude depuis des décennies. Retenons pour clore ce chapitre que sous la Cinquième République, c’est sans doute la première fois qu’une personnalité fait plier un Président et s’autoproclame chef du gouvernement.
Cette digression peut paraître quelque peu éloignée de notre sujet. Cela n’est qu’apparence. Elle témoigne en incidence que celui qui est aussi le maire de Pau ne sera pas aux ordres du Président et surtout pas de son alter égo l’omnipuissant Alexis Kohler, secrétaire général du Palais. Celui-là même qui asséna à quelques députés macronistes l’interrogeant sur le processus évolutionniste « Ne vous inquiétez pas, ils n’auront rien. »
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