DÉTENTION PROVISOIRE ET PRÉSOMPTION D’INNOCENCE
DROIT
Présumé coupable
C’est un samedi matin ordinaire, excepté le fait que je me trouve dans une petite salle lugubre et austère de la maison d’arrêt de Borgo en présence d’une jeune mère de famille, suite à sa mise en examen, puis son incarcération dans le cadre d’une affaire de stupéfiants.
Par Pierre-Laurent Audisio/Avocat au Barreau d’Ajaccio
I l m’est difficile d’affronter le regard de cette jeune femme rempli de larmes et d’incompréhension, dans la mesure où elle n’a jamais été aux prises avec la justice et qu’elle bénéficie d’un casier judiciaire vierge. Comment lui expliquer, alors qu’elle n’est pas encore jugée que sa mise en examen aurait dû être assortie d’un placement sous contrôle judiciaire tel que le prévoient les dispositions de l’article 137 du Code de Procédure Pénale. (La détention provisoire étant l’exception). Elle ne le sait pas encore mais elle constitue un moyen de pression très important sur son compagnon qui pour tenter de la disculper sera plus enclin à se livrer, à faire des déclarations spontanées et à présenter certains individus comme ses complices, ce que l’on a coutume d’appeler en pratique « la détention pression », mais également pour le juge d’instruction en charge du dossier qui pense obtenir facilement « des aveux ».
Pourtant elle n’est pas un rouage essentiel dans cette affaire, et son séjour l’a privée pendant près de 8 mois de la présence de son petit garçon âgé d’à peine quelques mois. Est-ce la conception que l’on devrait se faire de la justice ? Il convient de mettre en exergue la réalité de la pratique de la détention provisoire en France, notion en totale contradiction avec la présomption d’innocence prévue par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le glaive et la balance
Il ne s’agit pas ici de cautionner les comportements délictuels, voire criminels que certains individus adoptent et qui justifient une condamnation puis une incarcération, si tant est que leur culpabilité soit établie et prononcée par une juridiction répressive. Ce qui apparaît en revanche très contestable est que l’on puisse détenir très longue- ment une personne qui n’a pas encore été jugée en se réfugiant derrière l’ouverture d’une information judicaire et dont l’avocat de la défense n’a nullement la maîtrise quant à sa durée, sachant que celle-ci peut s’étaler sur plusieurs mois, même plusieurs années en fonction de la nature des faits reprochés à la personne et de la complexité du dossier. À partir de quel moment peut-on considérer qu’une personne est détenue trop longtemps alors que sa culpabilité n’est pas avérée: 2, 3, 4, 5 ans ?
En effet, certains prévenus ou accusés sont déte- nus à titre préventif pendant plusieurs années au seul motif des nécessités de l’instruction et alors que certains d’entre eux clament leur innocence et que leur culpabilité n’apparaît pas encore établie. Cette pratique en l’état semble totalement inacceptable d’un point de vue moral et humain ; elle est également anti-démocratique et en opposition avec certaines libertés fondamentales proclamées par les textes internationaux et reconnues par notre Constitution.
Le rouleau compresseur
D’aucuns seront peut-être en profond désaccord avec ces propos notamment par les temps qui courent, souhaitant une justice plus forte, chaque jour un peu plus ferme, toujours plus répressive et on peut comprendre ce besoin d’autorité, compte tenu de la menace terroriste qui menace en permanence sur notre société. Cependant quelle serait leur réaction, leur ressenti si un ou une de leur proches ou eux-mêmes étaient un jour confrontés au rouleau compresseur de la justice ? Lorsqu’un individu se trouve mis en cause par l’Institution Judiciaire, cette accusation se répand telle une gangrène dont il apparaît quasiment impossible de se défaire. Il arrive néanmoins fréquemment que ces prévenus soient in fine relaxés ou acquittés. Quid de tous ces mois, années au cours desquelles ils ont été privés de liberté, diffamés, suspectés, violés dans leur intimité, atteints dans leur dignité, tout simplement «présumés coupables»!
Désagréable impression
À titre d’exemple comment ne pas se souvenir de la tristement célèbre affaire Outreau qui a engendré plusieurs détentions provisoires d’individus totalement innocents ayant eu pour conséquence un suicide, et a aussi brisé leur existence.
Le législateur a, par la loi du 15 juin 2000, instauré la mise en place du Juge des Libertés et de la détention, afin qu’un autre magistrat que celui en charge de l’instruction ait à se prononcer sur la liberté d’un individu. Force est de constater qu’à ce jour le juge des libertés et de la détention confirme près de 90% des demandes d’incarcération présentées par le juge d’instruction, laissant planer cette désagréable impression selon laquelle la justice ourdit un complot contre la liberté.
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