Deux chefs d’État et le président du Conseil exécutif
L’insolite rendez-vous de Campo dell’Oro
Emmanuel Macron, le pape François et Gilles Simeoni se sont rencontrés sur le tarmac de l’aéroport d’Ajaccio. Une entrevue baroque, officiellement minorée , mais qui prend rang de fait politique inhabituel. Et pour dire étrange dont les motivations sont sans doute à rechercher dans l’absence du Saint-Père à Notre-Dame de Paris.
Par Jean Poletti
Certes la tonalité de la rencontre avait un aspect convivial. Bien sûr entre le président de la République et le chef de l’État le plus petit du monde l’échange fut, sinon sincère, à tout le moins diplomatique. Mais ce lieu de rendez-vous entre pouvoir spirituel et temporel paraissait quelque peu irréaliste. Seule l’écume des choses évitait d’en saisir l’aspect. Emmanuel Macron n’éprouva pas le besoin d’accueillir le Saint-Père à son arrivée. De même qu’il ne jugea pas utile d’assister, fut-ce un instant, aux cérémonies. Dire qu’il opta pour le service minimum ne paraît pas usurpé. Il attendit que l’auguste personne revienne vers l’appareil d’Air Corsica devant le conduire à Rome pour échanger dans un salon privé, habituellement propice aux réunions professionnelles ou syndicales. Le protocole sans être occulté n’épousa pas la plénitude qui sied en l’occurrence. Nombreux auraient préféré que l’hôte de l’Élysée soit davantage présent à cette manifestation pétrie de recueillement populaire, aux antipodes de certaines cérémonies aussi grandioses qu’artificielles. Celles que répugne le pape François.
Ce dernier acte d’une visite fut donc marqué par un entretien à huis clos aux atours d’une entente cordiale de circonstance. À qui savait déciller les symboles, l’échange des présents s’avéra éloquent. Ainsi le souverain pontife suggéra au Président de lire le passage de l’exhortation Gaudete et exsultate. Un texte de saint Thomas More suggérant de ne pas se départir de sa bonne humeur quelles que soient les circonstances. Message subliminal ?
Cadeau éloquent
Emmanuel Macron offrit en retour le grand livre de Notre-Dame de Paris. « Tu verras, c’est magnifique. » Un élégant non-dit signifiant voilà ce que tu as raté. Car la réouverture officielle se fit, nul ne l’ignore, sans la présence du chef de l’église catholique. N’avait-il pas martelé peu avant « Non andro a Parigi. » Une absence qui courrouça au sommet de l’État. Les choix des cadeaux se voulaient un clin d’œil aussi malicieux que teinté de reproche. Voilà qui généra un sentiment général, suranné ou réel d’une sorte de réponse biblique du berger à la bergère. Tu ne viens pas à Paris, je ne viens pas dans la ville impériale. D’ailleurs le propos liminaire d’Emmanuel Macron vaut mieux que longues digressions. « C’est un grand honneur pour la ville d’Ajaccio, la Corse et la France de vous accueillir. » Il n’aura échappé à personne la hiérarchie de la trilogie qui met en exergue le local, en reléguant presque à l’accessoire la dimension nationale.
À tout péché miséricorde, affirment les chrétiens. Dans ce sillage, il serait malvenu d’insister sur la fausse note. Ou de poursuivre sur ce chemin que d’aucuns jalonnent de reproches. Napoléon ne disait-il pas « Paris vaut bien une messe et plus rien n’y paraîtra ? » Osons emprunter cette formule pour retenir la beauté d’une journée à nulle autre pareille. Celle qui transcende laïcité et religion pour tutoyer un instant d’authentique communion. Le pape d’ailleurs ne s’y trompa pas en soulignant qu’une telle dichotomie trouvait ici un trait d’union pouvant servir d’exemple à l’Europe tout entière. Accueil et tolérance.
Aréopage en sentinelle
Tel fut le fil rouge qui alimenta la dialectique papale. En forçant un peu le trait, il eut pu songer au poème d’Aragon La rose et le réséda « Celui qui croyait au ciel. Celui qui n’y croyait pas. Tous deux adoraient la belle. Prisonnière des soldats. » N’est-il pas plus belle ode au vivre ensemble et à la liberté ?
En contrepoint, Campo dell’Oro demeurera à jamais le site improbable où se retrouvèrent deux chefs d’État. Et comme si cela ne suffisait pas Emmanuel Macron devisa brièvement avec Gilles Simeoni sur l’aire réservée au stationnement des avions. La température était fraîche. À l’image du propos ? Nullement, rapportent les témoins assistant de loin cette scène. Quoi qu’il en soit l’image des autorités civiles et religieuses attendant stoïquement sur la piste que s’achève la discussion s’apparentait à un cliché à tout le moins original. Que se dirent les deux édiles ? Gilles Simeoni évoqua sans surprise la situation politique économique et sociale de l’île. En insistant sur « le récent arrêt de la cour administrative d’appel » en référence à l’interdiction de la langue corse à l’Assemblée territoriale. Et de plaider une nouvelle fois pour la construction d’une solution politique dont le socle est le statut d’autonomie. »
Vœu pieu ?
Le chef de l’État ? « Il m’a affirmé que ses intentions demeuraient inchangées. Et que dans le cadre de ses prérogatives il ferait tout pour que la révision constitutionnelle aboutisse. » Vœu pieu dans cette instabilité gouvernementale proche de la crise de régime ? Gilles Simeoni ne désespère pas. La bénédiction papale qu’il reçut renforcera-t-elle son credo ?
Bilan et perspectives mises en sourdine, cette séquence aéroportuaire sera elle aussi à marquer d’une pierre blanche. Celle qui étonne et surprend. Décidemment chez nous rien ne se passe comme ailleurs…
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