Les secrets d’une raison d’État
Récemment encore, Mathieu Paoli a écrit pour la neuvième fois à Emmanuel Macron. Un plaidoyer pour la vérité au nom des quatre-vingt-quinze victimes disparues en mer lors du crash de la Caravelle sur le trajet Ajaccio-Nice. La tragédie tétanisa l’île voilà plus d’un demi-siècle. Le mutisme coupable des autorités est une nouvelle fois battu en brèche par de nouveaux témoignages accablants.
Par Jean Poletti
Voilà quatre ans déjà le président de la République s’était engagé à lever le secret défense afin que toute la lumière soit faite. Vaine promesse. Cette nouvelle démarche rejoignit le silence et l’oubli, comme nombre d’autres initiées au fil des décennies. La thèse du missile, tiré depuis l’île du Levant, frappant accidentellement l’appareil se dessina d’emblée. Elle fut sans cesse infirmée par les autorités et contresignée par les ministres des Armées qui se succédèrent.
Dans cette atmosphère, aux lisières de l’imposture, la commission d’enquête rendit de fumeuses conclusions évoquant un incendie dans les toilettes. Ou le mégot d’un passager. Pourtant voilà quelque mois, la justice évoqua clairement l’erreur de l’armée. Une conclusion qu’avait en son temps étayé le juge Montgolfier, qui avait décidé de reprendre l’enquête. Rien n’y fit. De non-lieu en nouvelles plaintes, ce dossier semble sans cesse et toujours se heurter à l’infranchissable mur d’opacité que paraissent avoir érigé les autorités étatiques. Ici, des témoignages majeurs ignorés. Là, des documents d’archives disparus mystérieusement. En corollaire des recherches de débris peu rationnelles. Une boîte noire spontanément déclarée inexploitable.
Le mea culpa d’un haut gradé
Pourtant des langues se délièrent. Tels aujourd’hui retraités qui travaillèrent sur le site de lancement confortent le scénario du missile. D’autres disent et réitèrent avoir vu une boule lumineuse se diriger à grande vitesse vers l’avion. Un haut gradé, sur son lit de mort, voulut soulager sa conscience en brisant les années de mutisme auxquelles il fut astreint. Et d’indiquer qu’une erreur de programmation avait provoqué la catastrophe.
Pourquoi une telle obstruction, qui à l’évidence ne résiste pas aux multiples confidences ? Par quelle curieuse alchimie une sorte de pacte fut scellé, résistant à la fuite du temps ? Comment un chef d’État dont on peut penser qu’il sollicita la « grande muette » ne fut pas écouté ? Pourquoi dans une étonnante coalition nombreux furent ceux qui parsemèrent tant de chausse-trapes dans les démarches de l’association des victimes ? Les supputations sont à la fois d’une limpide clarté et d’étonnement. Certes, le microcosme militaire, des enquêteurs et parfois des instructions judiciaires paraissent s’être ligués pour que la Méditerranée soit l’éternel linceul imperméable à toute compréhension. Ceux qui reposent dans ce cimetière marin n’ont-ils pas droit que leurs descendants sachent les raisons de leur funeste destin ?
Déni de franchise
Dans un pays qui ne cesse d’évoquer en sempiternelle antienne l’État de droit, voilà sans conteste l’exemple par l’évidence que ce concept peut être foulé aux pieds pour préserver, contre vents et marées, l’image de l’institution détentrice des armes de la dissuasion.
Il n’empêche, se replier ainsi dans une tour d’ivoire. Être imperméable aux doléances de ceux qui inlassablement réclament l’objectivité relève du déni de franchise.
En saine démocratie, il eut été normal que soit enfin levé le sacro-saint secret défense, bouclier opaque fréquemment brandi pour préserver des intérêts corporatistes. Ou ne pas les entacher. Mais en l’occurrence cette position craquelle sous toutes les coutures.
Un indice parmi d’autres est toujours d’actualité. Il émanait d’une note confidentielle dont voici la teneur. « Un missile sol-air dans cette région n’aurait pu s’égarer après avoir été lancé, soit d’un aéronef militaire ou d’une unité de la Marine nationale. Soit du centre d’essais qui en aurait perdu le contrôle. » Or affirme la missive, les bâtiments n’ont pas quitté le mouillage de Toulon et nul exercice aérien n’a pris l’air pour un exercice. Objection ! Ce funeste 11 septembre une activité militaire est dument consignée dans les ordres d’opération, quotidiennement remplis. Et l’avocat Raymond Filippi, qui était bâtonnier au barreau d’Aix-en-Provence d’affirmer tout au début de la médiatisation de cette affaire « Ce jour-là, un engin à tête chercheuse a manqué à l’appel. C’est donc qu’il a touché un obstacle. »
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