DROIT DU SOL
En annonçant la fin du droit du sol et l’avènement d’un droit du sang pour le département d’Outre-mer de Mayotte, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, relance le débat non seulement sur l’acquisition de la nationalité française mais encore sur l’idée même de la France.
Par Michel Barat,
ancien recteur de l’Académie de Corse
Nul ne peut ignorer que l’immigration comorienne massive détruit les conditions de vie des Mahorais au point de créer un des lieux de surpopulation et de misère les plus extrêmes. Mais une telle initiative est- elle possible sur une partie du territoire français sans entraîner son application sur sa totalité? Le droit du sol à Mayotte, en application de l’article 73 de la Constitution, est restreint par une condition supplémentaire: l’exigence d’une présence régulière sur le sol français d’au moins trois mois de l’un des deux parents étrangers au moment de la naissance pour que l’enfant puisse acquérir définitivement la nationalité française. Mais une telle suppression complète semble bien remettre en cause l’indivision de la République. Or, l’argument de l’indivision est souvent opposé à des demandes de modification de statut de certaines régions, comme en Corse. Notons que le droit du sol n’est pas intégral ni automatique en France: un enfant de parents étrangers, né sur le sol français, peut acquérir la nationalité française à sa majorité sous réserve d’une présence de cinq ans continue ou discontinue en France depuis l’âge de onze ans ou encore à la demande de ses parents à l’âge de treize ans. Donc contrairement à ce qu’on dit trop souvent nul peut-être français par droit du sol sans le vouloir.
STATUT POLITIQUE
Contrairement, une fois de plus à une idée reçue, le droit du sol sous des formes différentes ne date pas de la Révolution mais s’appliquait déjà sous l’Ancien Régime. Ce qu’apporte comme un acquit éminent la Révolution et qui sera confirmé formellement par la Troisième République, c’est que la nationalité française implique la citoyenneté française et les droits civiques afférents, ce qui, bien entendu, ne pouvait être sous l’Ancien Régime. La question se révèle philosophiquement de première importance car l’acquisition de la nationalité française n’attribue pas uniquement un passeport, une identité, mais bien plus un statut politique. La nationalité française ne résulte pas simplement d’une hérédité mais d’un contrat entre des citoyens. La nation française et non pas le royaume de France naît avec « la Fête de la Fédération », le 14 juillet 1790, quand les représentants des anciennes provinces se réunirent sur le Champ de Mars pour prêter un serment d’union et de fidélité à la nation. Nous remarquerons en passant que c’est ce que célèbre la fête nationale.
NATIONALITÉ ET CITOYENNETÉ
Le droit du sang intégral confère uniquement par filiation la nationalité et n’a pas la même signification quand il est complété par le droit du sol: le droit du sol introduit dans le concept de nationalité un acte volontaire, celui d’être français étant né sur le sol français, comme d’ailleurs le fait par une voie plus complexe la naturalisation d’un étranger. Il faut aussi noter que le droit du sang ne se limite pas qu’à cela, mais il est aussi le droit du sang versé, l’acquisition de la nationalité par le combat pour la France. La suppression totale du droit du sol conduirait inéluctablement à une mutation de la France qui ne serait plus une idée mais un fait biologique: le général de Gaulle ne pourrait plus être compris ni même entendu quand il proclamait avoir «une certaine idée de la France». Une suppression même partielle risquerait d’ouvrir la voie au découplage entre nationalité et citoyenneté. Il est loin d’être certain que cette suppression à Mayotte puisse mettre fin ni même freiner l’immigration comorienne sans doute incitée par la très grande différence de niveau et de conditions de vie, elle augmenterait le nombre d’étrangers sur l’Archipel sans amener de solutions efficaces et respectueuses des personnes.
IDÉE RÉPUBLICAINE
Qu’un tel débat puisse s’ouvrir, que des voix puissent s’élever pour l’étendre à la France dans son ensemble, témoigne de l’affaiblissement de l’idée de République par la déconnexion entre nation et citoyenneté: les Allemands cesseraient de dire «Gross Nation», «la Grande Nation» pour désigner la France en la distinguant tout autant du «Reich» que du «Land». Cette tentation répétée de modifier la constitution pour régler un problème ponctuel, fût-il lourd, cet abandon de toute hiérarchie des normes est en fait le symptôme du délitement de l’idée républicaine et de la réduction du citoyen en individu. Si l’on n’y prend pas garde l’éventuelle suppression du droit du sol à Mayotte pourrait à terme s’avérer le diable qui diviserait la République en consacrant la désunion nationale.
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