DU BON USAGE DU DÉGAGISME
Le dégagisme est le nouveau mot à la mode pour commenter, interpréter, analyser les résultats électoraux. C’est faire beaucoup d’honneur à Jean-Luc Mélenchon qui a popularisé ce néologisme né avec le mouvement d’insurrection populaire tunisien en 2011 et repris par le collectif belge d’extrême gauche «Manifestement».
par Vincent De Bernardi
Pour lui, il ne s’agit pas de prendre le pouvoir mais de déloger celui qui le détient, de vider la place qu’il occupe. Utiliser ce terme pour qualifier le mouvement massif de renouvellement observé lors des élections législatives et plus largement depuis le début de la séquence électorale présidentielle, paraît partiellement inapproprié. De la même manière le « sortez les sortants » avec son parfum poujadiste ne peut expliquer réellement le phénomène que nous venons de vivre. Pour autant, la disqualification d’un certain nombre de figures politiques est, en partie, la conséquence d’une lame de fond populiste observé en France comme dans un certain nombre de pays européens. Plus que le dégagisme, c’est un mouvement massif de rejet des pratiques anciennes, d’une façon de faire et d’incarner la politique qui s’est manifesté. C’est ce que souligne Myriam Revault d’Allonnes, philosophe, chercheur associée au CEVIPOF et spécialiste de la représentation politique. Cette période marque la fin de la domination des deux grandes forma- tions politiques de la Ve République. Cela signe peut-être aussi la fin d’un système bi- partisan mais sans doute est-il prématuré d’en déduire la fin du clivage droite-gauche. Les Français continuent à accepter de se positionner sur une échelle de 0 à 10 allant de la gauche à la droite. À travers une analyse de cet auto-positionnement, on comprend l’élection d’Emmanuel Macron et la vague en faveur de La République en marche qu’elle a provoquée. La Fondation Jean-Jaurès s’est livrée à une étude avec le CEVIPOF, IPSOS et Le Monde dans laquelle elle a observé plusieurs tendances au cours de cette année électorale.
Un espace vacant
Tout d’abord la droitisation de la société française s’est accentuée pour devenir dominante. 36,3% des Français interrogés se positionnent à droite (de 7 à 10 sur l’échelle) tandis que 22,5% se classent à gauche (de 0 à 3). 34% occupent l’espace des modérés, c’est-à-dire cette zone centrale (de 4 à 6) alors même qu’elle est désertée par les candidats des partis de gouvernement. À l’intérieur des zones de droite et de gauche, les vainqueurs des Primaires PS et LR occupent une place réduite et décalée par rapport au positionnement de leur propre parti subissant chacun dans leur zone une forte concurrence de la France insoumise et du Front national. Certes, l’auto-positionnement sur l’échelle politique n’explique pas tout, mais il est un déterminant du vote, voire, comme le souligne la Fondation Jean-
Jaurès, un des critères prédictifs du vote. À partir de ces éléments, la Fondation en a conclu qu’Emmanuel Macron s’est trouvé au bon endroit sur l’échelle de l’auto-positionne- ment, c’est-à-dire là où se trouvait une majorité de Français (dans l’espace central). Et au bon moment, c’est-à-dire quand les candidats issus des Primaires ont laissé vacant ce même espace, se disputant le leur avec d’autres candidats. On peut par extension appliquer ces conclusions aux résultats des élections législatives.
La Corse était… En marche
Les candidats de La République en marche, en dépit de leur manque de notoriété, grâce aussi sans doute à leur inexpérience, en occupant le même espace qu’Emmanuel Macron, ont écarté leurs concurrents de droite comme de gauche, eux-mêmes soumis à une forte concurrence interne dans leur propre espace.
On pourrait se hasarder à appliquer ce modèle à la Corse. Encore faut-il transformer substantiellement l’échelle de l’auto-positionnement des électeurs en y insérant un espace identitaire, régionaliste en lieu et place de l’espace central occupé au plan national par Emmanuel Macron et La République en marche. Les candidats nationalistes étaient au bon endroit, au bon moment. Dans une analyse très approfondie, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et Stratégie d’entreprises de l’IFOP, auteur de La nouvelle question Corse, souligne que «les nationalistes ont accompli en Corse ce qu’En marche ! a fait sur le continent […] L’aspiration ancienne au renouvellement a été préemptée par les nationalistes au détriment des macronistes ! ». Ce phénomène a conduit à la disqualification des forces politiques historiques sur fond de rejet de pratiques dépassées – certains diront «claniques».
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