Écran de fumée

Edito

Par Jean Poletti

Dans une île où chacun dit détenir le remède miracle pour raser gratis, l’exubérance verbale ou écrite se confine fréquemment à l’accessoire. Ignorant l’essentiel. Étrangement cette méthode Coué trouve oreilles attentives dans les sphères gouvernementales. Tout était pourtant consigné dans le fameux rapport Glavany. Ce document publié voilà deux décennies évoquait une situation pré-mafieuse. Il dressait aussi un sévère réquisitoire sur les méthodes de l’État, qui en prenait pour son grade. La situation a-t-elle évolué au gré des années ? Nullement. Pourtant, d’une visite ministérielle, l’autre, l’antienne demeure. Disque rayé à force d’être repassé. L’agriculture ? Vous avez de formidables atouts. L’économie ? Vous êtes sur les chemins de l’innovation créatrice. La santé ? À la bonne vôtre, on va cicatriser le mal. L’emploi ? Des mesures fortes vont être prises. L’autonomie énergétique ? Dans trente ans. Roulez carrosses, passez muscades. Mais il arrive aussi qu’au chapitre des opérations réussies, la vérité soit sélective. Sans verser dans l’énumération fastidieuse, un exemple, parmi d’autres, éclaire le propos. On pensait benoîtement que le transfert de la citadelle d’Ajaccio à la ville avait été initié par Simon Renucci et validé par Hollande. Mais le chef du gouvernement ne crut pas opportun de le préciser. Sans doute un oubli involontaire. Au-delà de l’anecdote, est-il également interdit de relever ces curieuses coïncidences de calendrier entre déplacements ministériels et interpellations ? À l’heure où Édouard Philippe foulait notre sol, la police faisait irruption à l’aube au domicile d’un éleveur pour le conduire en garde à vue et le relâcher quelques heures plus tard. Sans préjuger de l’épilogue, osons affirmer qu’une simple convocation aurait suffi en lieu et place de ce déploiement de forces. Mais des esprits curieux, et sans doute malintentionnés, relevèrent que la personne occupe par ailleurs des responsabilités dans la structure de Femu a Corsica. Vous avez dit bizarre ?

Désabusé par ces pâles reflets d’opérations Mani pulite, le citoyen décèle l’écume des choses. Et de relever que s’agissant des véritables défis le silence règne. Pourtant, évoquer la prégnance du milieu équivaut à divulguer un secret de polichinelle. Il infuse dans la société. Avec cette étonnante faculté d’adaptation qui semble laisser sans voix les représentants du pouvoir régalien. À chacun son destin, disait Sartre. Il avait raison. Dans ce droit fil devrait se décliner le fameux jeu du gendarme et du voleur. L’un poursuivant l’autre. Est-ce le cas ? Alors on nous ressert le mythe de l’omerta. D’une responsabilité collective, pour reprendre l’argutie d’un Valls, qui depuis rêve de châteaux en Espagne. Sans oublier l’inénarrable Poniatowski affublant une communauté d’un chromosome supplémentaire, celui du crime. Et que penser des propos dédaigneux d’un ancien pensionnaire de Matignon chaque fois qu’il évoquait notre île. Allant jusqu’à dire « s’ils veulent leur indépendance qu’ils la prennent ». Qualifié d’homme intègre, et meilleur économiste de France, nous apprenions récemment qu’il avait amassé un mystérieux magot dans une banque étrangère. En parodiant Audiard, le titre d’un vaudeville est trouvé : « Avec Raymond l’or se barre ».

Que nul ne se méprenne, nous n’avons pas trempé le stylo dans l’encre du courroux ou des donneurs de leçons. Mais il paraît quelque peu opportun, en ces temps incertains, qui dessinent un avenir trouble, de rappeler d’élémentaires évidences. Et sans vouloir plus que nécessaire retourner la plume dans la plaie, en jouant les Albert Londres de circonstance, suggérer à ceux qui ont mission de faire respecter les règles de ne pas tomber dans le piège de la facilité. L’amalgame. Où se fourvoyèrent nombre de prédécesseurs. Avec les résultats que l’on sait.

Oui, La Corse est en souffrance. Elle a sa part de responsabilité. Mais séparer le bon grain de l’ivraie ne doit plus être synonyme d’opprobre jeté sur une communauté. Ou de cibler à l’envi le menu fretin. À moins que le grand banditisme n’existe pas. Ce qui accréditerait alors l’assertion d’un ancien parrain supposé : « La Brise de mer, c’est de la pipette. »

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