Lettre à l’Elysée
Par Jean Poletti
Ceux qui croyaient benoitement qu’un candidat à la présidentielle devait fixer un cap et esquisser une vision sont grugés. Au fil des débats réunions publiques et philippiques nous assistâmes fréquemment à des comptes d’apothicaires et autres recettes éculées. Alors que le pays affronte une violente tempête économique et sociétale, il fut essentiellement question ici de coupes sombres dans le secteur public, là de formules couperet contre tout ce qui s’apparente au monde entrepreneurial. Dans un manichéisme éculé, tel proposait de mettre en pièces la sécu, issu du programme de la Résistance, l’autre d’octroyer un revenu universel quelles que soient les ressources du bénéficiaire. Deux exemples aux antipodes, dans une galerie de caricatures dévolues à flatter les clientèles au détriment de l’intérêt général. Se faisant, tous ou presque s’accordaient sur la dialectique de la traditionnelle alternance, alors que le peuple aspirait à la métamorphose de la politique. Cette campagne concrétisa, au-delà d’un scrutin élyséen, l’évidente cassure entre les citoyens et ceux qui aspirent à les représenter. Le nombre d’indécis à quelques jours du scrutin cardinal montre mieux que toutes les analyses le fossé qui sépare l’offre et la demande, renvoyant à maints égards à un affaiblissement périlleux de la démocratie.
Nombre de candidats ne comprirent pas qu’un monde ancien mourrait, tandis qu’un nouveau peinait à naitre. Un instant charnière propice à l’avènement des monstres. Cette évidence, théorisée par Gramsci, semblait malheureusement étrangère dans la plupart des programmes proposés. Tout ou presque n’était qu’ajustement budgétaires et prosaïquement un panel de propositions consistant à déshabiller Pierre pour revêtir Paul, ou inversement. On ne réduit pas un pays à la corbeille, rétorqua un jour De Gaulle à Giscard qui l’informait des fluctuations boursières. Et comme en écho, Mitterrand d’assener bien plus tard, en conseil des ministres, que l’adhésion populaire s’effrite lorsque ceux qui demandent des suffrages privilégient les discours d’experts-comptables au détriment d’une doctrine générale qui indique un chemin.
Nul n’est béotien, Candide ou utopiste. Au contraire l’électeur sait dans sa grande sagesse que tout n’est pas possible. Mais il a aussi conscience que les recettes proposées ne seront qu’amuses gueules à la table des grands défis ou s’est invité le marasme. Un pays irréformable clament maints spécialistes. Un peu court. Conseillons leur de relire François Revel, et notamment Le rejet de l’Etat ou encore Ni Marx ni Jésus, pour mieux sérier les problématiques actuelles et ainsi être armés pour les résoudre.
Des voix s’élèvent depuis la société civile pour fustiger cette sorte de vérité révélée que ressassent les professionnels de la politique. Ces apparatchik de gauche et de droite, qui trustant parfois depuis des décennies mandats ou postes de permanents dans leurs partis respectifs, sont devenus des rentiers, coupés des réalités quotidiennes.
Confortablement installés dans leurs bureaux lambrissés, croulant sous les notes techniques et les éléments de langage, fournis par de pseudo-spécialistes, prisonniers des exercices de communication, que connaissent-ils de la vraie vie. Celle du travail et des contraintes ? Rien ou si peu. N’est-ce pas là aussi que le bât blesse ?
Loin de nous l’esquisse de l’ombre de l’idée de verser dans le populisme et les propos café de commerce. Pour autant faut-il détourner les yeux d’une évidence ayant désormais force de loi ?
Coluche révolté par tous les démunis sans gite ni couvet créa les Restos du cœur. Une initiative salutaire qui se voulut en incidence un camouflet a tout cet aréopage de politiciens de tous bords qui scrutaient cette misère comme une fatalité insurmontable. Voilà qui suffit à démontrer qu’une initiative citoyenne vaut mille discours ou docte sémantique.
Si le prochain hôte de l’Elysée n’a pas chevillé au cœur et à l’esprit qu’il n’est pas le suzerain et la population vassale, son mandat ne sera pas un long fleuve tranquille. Cela vaut aussi pour la Corse. Car, ici et maintenant, si le pouvoir n’est pas au bout du fusil, il connait une réappropriation d’un peuple, qui transcendant les clivages n’accepte plus d’être tenu pour quantité négligeable.
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