Edito – Mars 2016
Le glas des artisans
Par Jean Poletti
L’artisanat se meurt. L’artisanat est mort. Chez nous plus qu’ailleurs sans doute, ce secteur d’activité irrigue l’ensemble de la société. Il est prégnant sur le littoral et dans l’intérieur, transcendant le strict aspect mercantile pour s’insérer pleinement dans notre mode de vie. Voilà la réalité. Le petit commerce, qu’en terme générique on baptise de proximité, subit une série de revers. Conscient de la nécessaire mutation, il tente vaillamment de faire face. Mais le coup de grâce lui est donné par la montée en puissance de l’auto-entreprenariat qui trouve dans l’ile un succès inégalé. Presque insolent. Voilà en tout cas l’élément majeur du courroux incarné par François Gabrielli, président de la Chambre des métiers de Corse du Sud. Homme libre et adepte du dialogue il est cette fois sur le sentier de la guerre, tant il pense qu’il s’agit d’un combat pour la survie. U tropu stropia. Tel est son credo qui vaut appel au ralliement de l’ensemble d’une corporation dos au mur. Et qui se dit broyée par une concurrence déloyale. La problématique est connue. Mais le mal est profond et s’enracine dans un relatif désintérêt du microcosme politique insulaire à l’égard de l’artisanat. En cela il ne présente aucun particularisme avec la doctrine continentale, dont le peu de considération pour ce secteur se retrouve dans le choix des ministres successifs. Ils allient au fil des alternances illustres inconnus ou vagues secrétaires d’Etat qui sont priés de ne pas s’émanciper d’un simple rôle de figurants.
La crise éclate. Au grand jour. Sur les quelque cinq mille artisans insulaires, nombreux sont ceux qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts. Les procédures judiciaires se multiplient. Des rideaux baissent définitivement. Inéluctable ? Nullement. Certes, ils n’ont pas la force de frappe des agriculteurs qui peuvent à tout moment faire rouler les tracteurs de la colère. Est-ce une raison pour ignorer leurs tourments ? Ici à l’évidence, ils ne s’en laisseront plus compter. D’autant qu’ils ne tendent pas la sébile et ne font pas l’aumône de subventions. Ils aspirent essentiellement à une reconnaissance de leur profession, qui implique notamment qu’ils puissent, à tout le moins, se battre à armes égales avec ceux dont la législation leur offre l’exonération des charges sociales et fiscales.
Voilà qui rejoint en incidence la revendication d’un statut fiscal spécifique, comme cela est d’ailleurs le cas dans les territoires d’Outre-Mer.
Que nul ne se méprenne. L’artisanat, du Cap à Bonifacio contribue au fameux vivre ensemble. Il est sans doute aussi l’ultime rempart à l’exode rural, en assurant notamment durant les longs mois d’hiver un service public officieux mais efficace. Dès lors, l’équité commande à ceux qui sont désormais en charge du destin collectif de notre communauté de se préoccuper vraiment du sort des artisans. L’économie ne doit pas se complaire dans de doctes théories, mais s’imprégner du réel.
Les théories de Keynes Smith et autre Ricardo ne remplaceront pas chez nous l’observation d’une situation limitée dans l’espace et le temps. Elle suffit à faire germer le simple bon sens, chose du monde la mieux partagée disait Descartes. Dès lors nul besoin d’être exégète patentée pour formuler deux évidences. L’artisanat est nécessaire. Comment lui permettre d’exister. Est-ce trop demander ?
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