Edito – Sept 2016
Le préfet oublié
Par Jean Poletti
Au cœur de l’été, Jean Etienne Riolacci rendait son dernier souffle. Ses obsèques se déroulèrent à Vallecalle, petit village du Nebbiu dont est originaire son épouse. Au-delà de l’homme de grande culture, ce fut l’ancien préfet de Corse qui fut porté en terre. Nommé au lendemain des événements d’Aleria, il savait sa mission difficile. Pourtant il accepta sans l’ombre d’une hésitation lorsque Giscard le sollicita. Dans un climat tendu, au bord de la rupture, celui qui s’installa au Palais Lantivy tenta d’unir l’inconciliable, de conjuguer les antagonismes, d’atténuer les fractures. La logique étatique, que par essence et définition il incarnait, se heurta frontalement aux revendications exacerbées d’une jeunesse brandissant le drapeau de l’identité trop longtemps négligée.
Dans cette explosion revendicative, Jean-Etienne Riolacci n’eut pas le beau rôle. Il fut contesté. C’est de bonne guerre, disait-il avec son accent corse à couper au couteau. Lui qui portait chevillé au cœur et à l’esprit l’amour de son ile, comprenait sans l’avouer ouvertement les griefs à l’endroit du représentant de l’Etat. Il était cependant profondément blessé lorsque sa personne était visée.
Sa feuille de route était limpide. Elle rejoignait les propos du président de la République de l’époque : « Il n’y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse. » A lui de s’en accommoder. Dans ce droit fil il initia la continuité territoriale et posa les jalons de solutions économiques. Il s’activa aussi après des ministères concernés pour obtenir des mesures concrètes en faveur de la ruralité. Et plaida pour une redistribution des terres plus équitable envers les insulaires.
Souvent écouté à Paris, parfois entendu, il assuma cette dualité. Séparant intellectuellement sa mission officielle et ses convictions personnelles.
Une ambivalence peu perceptible alors, dans le tumulte et les intenses crispations. Mais qui affleurent désormais, avec la fuite du temps qui polit les aspérités des passions. Et ampute les outrances.
L’homme était attachant. Au gré de ses pérégrinations professionnelles il portait en bandoulière cette âme corse, le seul bagage dont il avait véritablement besoin. Au cœur de cette Castagniccia, qu’il aimait par-dessus tout, il comptait de solides amitiés. Des paysans, des ruraux, ces hommes de la terre avec qui il entonnait parfois des paghjelle. Quand il n’évoquait pas Sambucucciu Pasquale Paoli ou l’incontournable Grossu-Minutu, dont il était un fervent partisan.
Que l’on nous comprenne bien. Il ne s’agit nullement de verser dans le panégyrique surfait. Mais simplement, au hasard d’une destinée, de mettre en exergue la complexité d’un être qui souffrit de jugements lapidaires. Amers fruits, sans doute, d’une période embrasant brusquement notre société. Instant charnière du rejet d’un système ancien et la revendication d’un monde nouveau.
Jean-Etienne Riolacci se trouva a la croisé de ce chemin. Corseté par une situation à nulle autre pareille. Il ne se déroba pas et releva le défi. Lui le fin lettré, dissertant sur Aragon ou Camus, n’hésitait pas à pousser in lingua nostra, fut-ce dans les bureaux lambrissés Elyséens, ces jurons que de chastes oreilles ne pouvaient pas admettre.
A l’évidence, ce préfet hors-norme fut un éternel amoureux de la Corse. Les formules réductrices, et partant erronées, dissimulèrent les multiples facettes d’une vie. Celles qui, selon une formule de François Mitterrand, façonnent l’unité d’un homme. Complexe. Forcément complexe…
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