Implacable constat. De nombreuses microrégions risquent de manquer d’eau. Restrictions. Interdictions.Alertes préfectorales. Éleveurs et agriculteurs soumis à la portion congrue. Handicap d’une saison estivale où l’offre seranotoirement insuffisante.Tous les voyants sont au rouge. Mais accuser le réchauffement climatique comme unique cause de cette pénurie équivaut à ne pas évoquer les erreurs stratégiques passées pour capter et retenir les précipitations dont l’essentiel se perd dans la mer.
Par Jean Poletti
À en croire certains spécialistes, la Corse serait désormais abonnée aux filets d’eau des robinets. Ou aux entraves de la consommation domestique et professionnelle. Nul n’infirme que le climat soit étranger à cette situation. Personne ne réfute l’idée que le réchauffement dénature le cycle de la pluviométrie. Rares sont les voix qui n’en appellent à la parcimonie et au partage d’une richesse naturelle qui se raréfie. Il n’empêche ces explications, pour acceptables qu’elles fussent, oublient que notre île n’est pas dans une situation similaire à celles que rencontrent certaines contrées africaines ou la pluie relève de l’exception. En forçant le trait, ici nous sommes aux antipodes du désert de Gobi. Aussi s’engoncer dans le fatalisme et clamer que cette situation est inéluctable et sans parade relève d’un défaitisme, sinon coupable à tout le moins complice. Les chiffres sont têtus.
Ils battent en brèche la doxa ambiante qui confine à l’impuissance. Chez nous d’une année, l’autre, les précipitations oscillent autour de huit milliards de mètres cubes. La moitié s’infiltre dans le sol. Nul besoin d’être grand spécialiste des équations pour avancer qu’environ quatre milliards sont théoriquement disponibles. Des études montrent en corollaire que trois ou quatre pour cent sont dévolus à l’usage domestique. Et moins d’une centaine de millions utilisés pour la production hydroélectrique. Le reste, soit l’essentiel ou presque, de cette manne céleste se perd dans la mer. Gâchis énorme. Potentiel inutilisable. Richesse stérilisée. Voilà le tableau limpide comme l’eau de source. Selon le célèbre mot de Talleyrand ne pas l’admettre est d’avantage qu’une faute, une erreur.
L’EXEMPLE DE LA SARDAIGNE
Sans remuer le couteau dans la plaie, l’équité commande à dire et souligner que depuis trop longtemps cette problématique ne fut pas anticipée. Tant que les besoins étaient satisfaits, nul ne se préoccupa véritablement d’optimiser et de rentabiliser cette richesse gratuite et osons dire abondante. Qu’elle finisse sa course dans la grande bleue n’interrogeait à l’époque personne ou presque. Désormais, il faut boire la coupe jusqu’à la lie. Le rouge est mis. L’alerte est sonnée. La mobilisation s’impose. Mais là aussi les divergences s’esquissent. Construire des barrages modestes mais en nombre? En édifier peu mais de grande envergure ? Transcendant les arguments des spécialistes et des décideurs politiques une évidence est prégnante. Elle a force de loi. La population n’a qu’une seule et unique préoccupation, celle de ne plus être limitée drastiquement à cause d’une absence de prospective, qui transforme en rareté ce que Jupiter fait tomber chez nous à profusion. Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler que dans un passé pas si lointain la Corse avait émis l’idée de vendre son surplus d’eau à la Sardaigne qui en manquait cruellement. Depuis, tandis qu’ici on se reposait sur des lauriers abondement arrosés, là-bas des infrastructures nécessaires étaient réalisées afin de subvenir aux besoins. Révolution copernicienne, surréalisme apparent. En boutade synonyme d’échec patent, il n’est pas utopique de penser que l’île voisine propose à son tour de nous ravitailler Ce serait comme dirait l’autre: une histoire de l’eau de là. Vous avez dit volontarisme qui ici fait défaut et est doctrine ailleurs ? L’exemple d’Israël vaut exemple et leçon. En mémoire de la Shoah, ce pays planta six millions d’arbres dans le désert. Et actuellement les maraîchers font pousser leurs cultures sur des terres arides grâce à un procédé scientifique qui prévoit la quantité nécessaire d’irrigation. Ce pays est aussi parvenu à viabiliser de grandes orangeraies au cœur du Sinaï. À cet égard, une délégation insulaire s’y rendit pour observer des résultats. Et importer ces techniques qui font école en maints pays.
LE TEMPS DES DILEMMES
À l’aune des réalités, il est aisé de percevoir que le débat ne peut être circonscrit au simple constat actuel. Il convient, sans jeter de pavé dans la mare, d’indiquer que les hiatus actuels résultent en grande partie d’une inaction en amont afin d’avoir un horizon dégagé. Ergoter aujourd’hui et tirer des plans sur la comète consistant à partager un potentiel, réduit en maints endroits comme peau de chagrin, montre mieux que longs discours que firent défaut les nécessaires anticipations. Le déplorer ne suffit pas. L’immédiateté commande de faire face avec les moyens du bord. La solution miracle étant exclue, les traditionnels appels à la préservation des ressources devient seul et unique remède pour tenter d’éviter le point de non-retour. Ainsi en Haute-Corse, quelque cent trente-sept communes affichent un déficit hydrologique parfois supérieur à soixante pour cent des valeurs normales. Dans ce droit fil, il est indiqué que les ouvrages de stockage de l’Office d’équipement hydraulique offrent sur l’ensemble du département un taux de remplissage de soixante-treize pour cent. Soit vingt points de moins que l’an dernier à pareille époque. Sans verser dans l’énumération des chiffres, disons simplement pour fixer les esprits, que cela correspond à plus de six millions de mètres cubes. Les services de la préfecture avertissent sans atermoiement. Au regard de ces indicateurs présentant une fragilité significative et des prévisions météorologiques à venir «il convient de préserver les ressources en eau jusqu’à l’automne et la prochaine saison de recharge». La pressante incitation se double d’interdictions imposées par arrêté officiel. Ainsi depuis un mois les microrégions du Nebbiu, Plaine orientale et Cap Corse sont principalement concernées. Tandis qu’en maints autres lieux, arrosages des jardins, espaces arborés, lavages de véhicules et remplissages de piscines sont prohibés. Faisant preuve de responsabilité, le monde agricole a accepté d’instaurer des tours d’eau. Chaque filière observant un tour d’arrêt régulier de vingt-quatre heures.
CRAINTES DU CAP À BONIFACIO
Le tableau sans être identique est toutefois similaire en Corse-du- Sud. Pour l’heure moins touchée que le nord, les risques ne sont nullement exclus. Et les autorités en appellent à une «utilisation raisonnée et économe de l’eau dans une démarche de responsabilité collective ». Sans exclure des restrictions en cas d’aggravation qui n’est pas simple hypothèse d’école. Le constat est inquiétant. Dans ce département aussi il est constaté, à l’orée de la saison touristique, « une nette progression des volumes prélevés pour les usages humains, notamment pour la consommation d’eau potable». Exemple significatif, le volume prélevé en mai dernier s’avérait déjà deux fois plus important que celui de l’année écoulée à pareille époque dans le sud-est du département. Et une fois et demi dans le Pays ajaccien. Le salut ne devrait pas venir du ciel, étant entendu que Météo-France indique pour cet été un niveau de précipitations inférieur à la normale. Bref, sans prédire le pire, nul ne peut décemment l’écarter d’un revers de manche. D’ailleurs dans quelques jours le comité départemental des ressources en eau se réunira pour statuer. La décision? «Des mesures de restrictions seront prises si aucun ralentissement de la tendance de consommation n’est observé d’ici là. »
LES MAIRES SE MOBILISENT
L’Association des maires de Haute-Corse, que préside Ange-Pierre Vivoni, n’a pas (>>>)
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