ÉLOGE DE LA FONCTION PUBLIQUE

Avec les retraites, la fonction publique sous ses trois aspects, qu’elle soit d’État, territoriale ou hospitalière est la cible préférée de beaucoup d’économistes et de politiques pour réduire la dette française.

Par Michel Barat, ancien recteur de lAcadémie de Corse

On se croirait dans une mauvaise reprise du roman satirique paru entre 1891 et 1892 de Georges Courteline, caricaturant les fonctionnaires, rejoué de nouveau sur le théâtre de l’Assemblée nationale : Messieurs les ronds-de-cuir. Il s’agissait déjà au cœur de la Troisième République de dénoncer l’envahissement d’une bureaucratie tatillonne et inefficace comme frein coûteux au développement du pays. La critique de l’administration est congénitale à la République naissante ou se confirmant. Ce n’est donc pas étonnant que cette charge contre l’administration républicaine se fait en même temps que la victoire définitive de la République en France avec le ralliement des catholiques par l’encyclique de Léon XIII, Au milieu des sollicitudes. L’histoire de la République française est celle de son administration.

Bien souvent prendre son administration comme cible est une manière de regretter son emprise sur les esprits et sur les faits. Le premier acte vraiment républicain fut de doter tout Français quelle que soit sa religion d’un état civil se substituant au registre des baptêmes. Cette loi du 20 septembre 1792, jour de la très symbolique « victoire » de Valmy, précède d’une journée l’abolition de la monarchie, le 21, et la déclaration de la République, le lendemain, le 22, par l’Assemblée nationale. Le premier acte républicain a donc bien consisté à substituer une administration civile des citoyens à la gestion ecclésiale des âmes.

Hussards noirs

La question de l’administration publique et des corps qui la gère est donc pour la France plus qu’une question de gestion et d’économie mais bel et bien éminemment de politique. Toutes les critiques ou toutes les défenses de la fonction publique ne sauraient être en France une simple question de l’administration des choses mais bien celle des hommes. C’est pour cela que sa réforme est un sujet bien plus difficile qu’ailleurs à réussir. Dans la pensée républicaine française l’administration publique est d’abord considérée comme un facteur de progrès et non comme un obstacle au développement économique.

Mais nul ne peut contester, même les plus républicains, qu’elle a parfois enflé et engendré une réglementation sclérosante. Si cela est vrai, ce n’est nullement un motif pour oublier qu’elle a fait et continue de faire la France. La fonction publique d’État avec ses hussards noirs, les instituteurs, a sorti le pays d’un illettrisme massif ; ainsi à ses débuts fut-elle bien celle des savants. C’est elle qui assure par sa police et sa justice la sécurité des gens et des biens et qui garantit de ce fait la libre entreprise. La fonction hospitalière a fait accéder aux soins même les plus démunis. Contrairement aux États-Unis, en France on n’accepte pas que quiconque puisse mourir faute de soins car faute de moyens.

Une grande partie des services publics sont assurés pour tous les citoyens par la fonction publique territoriale que ce soit la municipale, la départementale ou la régionale, de l’École, jusqu’aux transports en passant par l’assainissement… Les Français vivent aujourd’hui avec la République par la fonction publique comme jadis ils vivaient avec le Roi par le clergé.

« La question de l’administration publique et des corps qui la gère est donc pour la France plus qu’une question de gestion et d’économie mais bel et bien éminemment de politique. »

Quadrature du cercle

Tous veulent réduire la fonction publique mais tous veulent plus de services publics alors qu’ils ont tendance à se détériorer. En forçant le trait on pourrait aller jusqu’à dire que l’histoire de la fonction publique est celle de la cléricature de la République. En ce sens quels que fussent les partis aux pouvoirs, la République française n’a jamais été véritablement libérale sans être devenue authentiquement socialiste.

D’un point de vue économique et gestionnaire la France est une grande société d’économie mixte. Elle a besoin de sa fonction publique. Pour continuer de comparer la fonction publique au clergé de l’Ancien Régime, sans doute faudra-t-il qu’elle connaisse son Vatican II afin de recouvrer son efficacité et son respect.

Réforme en berne

Certes, la question est bien celle des rémunérations qu’elle propose, mais avant tout celle de l’image qu’elle donne et d’abord qu’elle se donne à elle-même.

Telle est la réforme de l’État toujours attendue et toujours promise mais toujours aussi abandonnée à peine commencée. Las de l’attendre du politique c’est en elle-même qu’elle doit en trouver les ressources.

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