Entre l’enclume et le MARTEAU

L’ÉDITO de Jean Poletti


Les échos de l’été s’évanouissent en cet automne naissant. Le temps des retrouvailles
dans les villages entre résidents et Corses de la diaspora s’enfuit dans un cycle
immuable. L’intérieur retrouve sa torpeur et le littoral se vide des touristes. Éternel
recommencement ? Sans doute. Mais cette fois se retrouver entre nous laisse émerger
la profonde vague de mécontentement que la canicule mit entre parenthèses dont
certains s’escriment à qualifier d’enchantée. Certes les problèmes semblèrent cicatrisés
sous les rayons du soleil. Eux aussi prirent un semblant de vacances. Mais l’élémentaire
lucidité conduit à affirmer qu’ils couvaient tel un feu sous les cendres pour rejaillir au
temps des vendanges. Fertiles en pépins. Ils laissant augurer les raisins de la colère
mêlant inquiétudes, anxiétés et craintes collectives. Pessimisme par trop exacerbé ?
D’aucuns le pensent. Mais les principes de réalité ne peuvent s’enjamber par l’optimisme
béat. Dire et marteler que notre île va mal relève de l’évidence. La rentrée en portera
témoignage. Il ne s’agit plus de malaise factuel mais d’une sorte de spirale qui s’inscrit
dans le temps. L’économie est atone. Le secteur du bâtiment tente de retrouver un
second souffle. Le tourisme n’est plus une manne qui participait à plus de trente pour
cent du produit intérieur brut. Dans cette litanie figure l’aggravation du coût de la vie,
qui télescope et pénalise durement la région la plus pauvre de France. Ce mois de septembre morose pourrait bien annoncer une tempête sociétale avec les frimas de l’hiver. Par quel curieux maléfice une île aux insignes potentialités conjugue-t-elle depuis trop longtemps un endémique non-développement ? Elle n’a nulle parenté avec la Lozère ou le Cantal et pourtant elle offre un visage mêlant précarité, jeunesse déboussolée et une dichotomie qui s’aggrave entre le littoral et les périphéries. Tandis que l’intérieur s’engonce dans une léthargie aux lisières de la disparition. Réfuter une fragmentation de notre communauté relève de la méthode Coué. Celle qui refuse l’implacable verdict. Il tient en un seul
chiffre révélé par l’Insee : près de trente mille habitants vivent dans un logement suroccupé. Cela signifie qu’il est trop exigu en regard du nombre d’occupants. Voilà un révélateur qui indique mieux que longs discours la paupérisation d’une communauté, l’accroissement des ménages modestes et la tension sur le marché de l’immobilier. Dans un rapprochement saisissant, L’archipel français, théorisé par Jérôme Fourquet, semble s’instaurer également dans notre région. Effaçant progressivement particularismes et spécificités. À ce panel socio-économique se greffent et se superposent l’emprise
de la voyoucratie et la prolifération du trafic de drogue. À telle enseigne que dans certains quartiers des dealers tentent d’empêcher l’incursion d’employés municipaux. Tandis que parfois secouristes ou pompiers sont pris dans de véritables guets-apens. La mémoire courte efface, au gré du temps, ces évènements inimaginables dans un passé récent. Elle atténue aussi les incendies criminels sous fond de racket contre des commerces. Et range au chapitre des profits et pertes les plaies désormais béantes du vivre-ensemble. Concept en passe de devenir virtuel de part et d’autre de Vizzavona. Se
lamenter, mettre exclusivement à l’index édiles territoriaux, maires ou députés, s’apparenterait à une vision partielle pour ne pas dire partiale. Cela n’équivaut pas à les exonérer de toute responsabilité. Car si la population sait qu’ils ne peuvent tout régenter, elle est à l’évidence en droit d’attendre que l’on s’occupe davantage de ses préoccupations quotidiennes.
Bref, dans une formule lapidaire nos représentants n’ont pas une obligation de résultat sans faille, mais de faire œuvre d’écoute et de proximité. Le peuple dans sa sagesse ne rêve pas aux lendemains qui chantent mais aspire à tout le moins que les édiles de tous bords s’investissent, ici ou au Palais Bourbon, afin que par des mesures simples les flagrantes distorsions s’atténuent. Tenté d’accéder au possible, fut-il sans atteindre le souhaitable. Le prix de l’essence, plus élevé ici malgré des taxes moindres. Le manque crucial de logements sociaux dans les grandes agglomérations. La bataille de
l’eau afin que la sècheresse ne soit plus une compagne indésirable qui pénalise l’usager et au-delà l’activité commerciale.
En bannissant un inventaire à la Prévert, ajoutons toutefois les déserts médicaux, l’édification cruciale du nouvel hôpital de Bastia. Ou encore le Centre hospitalier universitaire qui permettrait en l’occurrence à la Corse de ne plus être l’unique exception dans l’Hexagone et Outre-mer à ne pas disposer d’une telle structure. On le voit, ces attentes ne sont pas habillées d’utopie. Tant s’en faut. Parler d’une seule voix pour extirper une communauté de l’ornière voilà qui renvoie
dans un pragmatisme assumé à l’adage « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». S’atteler à cette noble tâche pourrait déjà être un pas vers la réussite. En toute hypothèse l’expectative ne doit plus avoir le moindre droit de cité. La Corse est prise entre le marteau de l’absence d’un essor partagé et l’enclume d’une paupérisation qui s’accentue. Voilà qui instaure un climat propice à tous les débordements que nul bientôt ne pourra contrôler. Le temps est venu d’une union sacrée
transcendant les joutes politiciennes, les vieilles lunes et le nombrilisme. La majorité silencieuse n’attendra pas encore longtemps. Les récentes législatives furent l’ultime avertissement.

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