
Drill, baby, drill. Autrement dit « fore, bébé, fore ». Quand ce slogan s’est imposé dans les rangs républicains durant la campagne présidentielle américaine, il laissait peu de doutes sur les ambitions environnementales du candidat d’alors, Donald Trump. Privilégiant l’urgence énergétique à l’urgence climatique, le désormais locataire de la Maison Blanche n’est pas le seul à regarder ailleurs pendant que notre maison brûle. L’Union européenne et la France ont aussi revu leurs ambitions à la baisse. L’environnement serait-il devenu un souci de riches ? Non plus. Dans la mesure où les super-riches concentrent leurs efforts et leurs moyens sur l’intelligence artificielle. L’IA qui pour l’heure présente un bilan environnemental désastreux. La boucle est bouclée.
Par Caroline Ettori
Après l’opposition « fin du mois, fin du monde », l’intelligence artificielle serait-elle la nouvelle adversaire de la cause climatique ? Le Sommet pour l’action sur l’IA qui s’est tenu à Paris du 6 au 11 février dernier, loin de répondre à la question, a envoyé de nombreux signaux pour le moins contradictoires.
Le numérique et le Vieux Continent
Premier enseignement. L’Europe ne peut se résoudre à compter les points entre les États-Unis et la Chine. Entre ChatGPT généré par l’américain OpenAI et la plateforme chinoise DeepSeek, les pays de l’Union européenne font figure de petits joueurs du numérique. D’autant plus après l’annonce de Donald Trump d’investir 500 milliards de dollars dans Stargate, un plan visant à assurer aux États-Unis la première place dans la course à l’intelligence artificielle. Une véritable claque pour l’Union européenne qui depuis multiplie les annonces. En décembre déjà, la Commission européenne avait annoncé le financement de supercalculateurs optimisés pour l’IA dans sept pays de l’UE* pour 1,5 milliard d’euros. Lors du Sommet, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le lancement d’InvestAI, une initiative visant à accélérer le développement de l’intelligence artificielle et l’émergence de champions européens grâce à une enveloppe de 200 milliards d’euros dont 150 milliards venant de grands groupes. Une annonce qui intervient deux jours après la déclaration du président Emmanuel Macron d’investir 109 milliards d’euros dans les prochaines années en France. Des fonds essentiellement étrangers venus du Canada, de Grande-Bretagne et des Émirats arabes unis qui financeront un campus, des centres de données, des transferts de données, des puces de stockage et de l’énergie. Et de l’énergie justement il en faudra. Beaucoup.
Une IA énergivore
Deuxième enseignement, l’IA consomme. Pour son développement, l’intelligence artificielle a besoin d’énormes centres de données, chacun consommant une quantité d’électricité équivalente à celle de 100 000 ménages selon l’Agence internationale de l’énergie. Toujours selon l’Agence, bien que les centres de données ne représentent actuellement que 1% de la consommation mondiale d’électricité, le réseau est déjà confronté à des défis importants dans les zones où ils sont concentrés, et la demande devrait continuer à augmenter. Ainsi, en Irlande, les datacenters représentent déjà 20% de la demande d’électricité, tandis que dans l’État américain de Virginie, cette part est supérieure à 25%. En clair, pas d’IA sans énergie. On en revient donc au Drill, baby, drill de Donald Trump qui privilégiera les hydrocarbures pour faire face à cette demande croissante. Ce à quoi Emmanuel Macron a répondu un Just plug, baby, plug, que l’on pourrait traduire par « Branche-toi, bébé », défendant l’énergie nucléaire bas carbone et d’ores et déjà disponible. Un atout pour la France selon le chef de l’État. Mais la soif de l’IA ne s’arrête pas à l’énergie. Il faut également compter sur la production de matériels informatiques, serveurs, puces, infrastructures réseaux, qui a un impact environnemental significatif à travers l’extraction de métaux rares, l’utilisation de ressources en eau pour le refroidissement et une génération importante de déchets électroniques.
À défaut d’un développement durable de l’IA, les États européens devront faire un choix à très court terme pour ne pas se laisser distancer par les puissances du numérique moins regardantes sur les enjeux environnementaux. Des questions éthiques qui rejoignent et dépassent la dimension écologique.
IA et démocratie
Troisième enseignement, l’IA doit être éthique. Une valeur qui ne fait pas l’unanimité. En effet, à la clôture du Sommet, 58 pays dont la Chine, la France et l’Inde qui en étaient les co-organisateurs ainsi que l’Union européenne ont signé la déclaration pour une IA « ouverte », « inclusive » et « éthique ». De bonnes intentions que ne partagent pas les États-Unis qui par la voix de leur vice-président J. D. Vance ont mis en garde contre une régulation excessive qui « pourrait tuer une industrie en plein essor ». On oublie donc la sécurité des biens et des personnes, les droits fondamentaux et autres valeurs démocratiques qui sont au cœur de l’IA Act européen entré en application début février. Ce texte qui définit un cadre de bonne conduite serait, selon les instances européennes, aussi efficace pour favoriser l’innovation. Et au cas où, une IA contreviendrait à ces obligations, les amendes pourront aller de 1 à 7% du chiffre d’affaires annuel mondial total ou jusqu’à 35 millions d’euros. De quoi motiver les plus réfractaires à la régulation.
Si une IA verte ne semble pas être une priorité par les poids lourds du secteur, l’opposition avec les enjeux environnementaux n’est pas une fatalité. L’intelligence artificielle est sans nul doute une source de défis écologiques autant qu’un levier puissant pour des solutions innovantes en matière de durabilité. La clé réside dans une approche équilibrée, où la technologie est développée avec une conscience verte forte et des engagements concrets pour réduire son impact négatif. Mais avons-nous encore seulement le temps de trouver cet équilibre ?
L’IA et la Corse, vers une Smart Isula
Dans le grand bassin de l’intelligence artificielle, comment les pouvoirs publics en Corse et plus particulièrement la Collectivité de Corse accompagnent les acteurs insulaires de la Tech ? Interrogé lors d’une session de l’Assemblée de Corse par Julia Tiberi du groupe Avanzemu en avril dernier, Alexandre Vinciguerra président de l’Adec d’alors a dressé la liste des actions mises en place par la CdC pour créer un écosystème favorable. Parmi celles-ci, l’accompagnement de l’université de Corse, de Paolitech mais aussi de la nouvelle école privée d’ingénieurs Mira ; le soutien au Pôle européen d’Innovation numérique réunissant Aflokkat, CampusPlex 2.0, Femu Quì Ventures, la SITEC et l’École Supérieure des Technologies Industrielles, la start-up AGRID et IB Consult pour accompagner les entreprises insulaires dans leur transformation.
Par ailleurs, Inizia et l’Adec assistent de plus en plus de start-up dans le domaine de l’IA telles qu’Agrid, Neural Vision, DeltaGee, Biophonia, MidGard.
Enfin, la CdC a toujours l’ambition de faire de la Corse une Smart Isula où l’IA jouera un rôle décisif d’optimisation des données et des ressources.
Green Deal : on passe du vert au propre
Le Pacte vert européen ou Green Deal est la feuille de route environnementale de la Commission européenne. Le programme a pour objectif d’atteindre la neutralité climatique en 2050 en transformant les principaux secteurs de l’économie et de l’industrie de l’Union européenne tout en créant des emplois. Une stratégie de croissance verte que ne partagent pas les conservateurs du Parti populaire européen soutenus par l’extrême droite. Adopté en 2021, il est depuis régulièrement remis en cause par ses opposants qui continuent de peser lourdement pour passer d’une Europe « verte » à « propre ». Encore une fois, ce sont les arguments économiques comme l’inflation et les secteurs stratégiques de l’UE comme celui de l’automobile, de la sidérurgie et de l’énergie particulièrement concernés par la transition écologique qui ont pris l’ascendant sur la cause environnementale. Dans son discours de réélection en juillet dernier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a d’ailleurs évoqué une simplification des règles existantes afin de trouver un équilibre entre protection de l’environnement et croissance économique. À court terme.
* L’Espagne, l’Italie, la Finlande, le Luxembourg, la Suède, l’Allemagne et la Grèce.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.