Et si la crise sanitaire avait raison de la naïveté européenne ?
CHRONIQUE
Par Vincent de Bernardi
Dans la crise du coronavirus que vit l’ensemble de la planète, l’Europe apparaît tétanisée, désœuvrée, désarmée. Il est vrai que la santé publique est un domaine du ressort des états et non de l’Union. Or, on le voit tous les jours chaque pays ne peut agir isolément. Tous finissent par appliquer les mêmes mesures du fait de la propagation du virus lui même et de la pression des opinions publiques. Alors pourquoi n’y a-t-il pas davantage de coopération à défaut de solidarité ?
Directeur de la Fondation pour l’innovation politique, Dominique Reynié estime que cette crise pourrait porter un coup fatal à l’Europe telle que nous la connaissons. Pour lui, ou bien l’Europe se réconcilie avec une vision de puissance ou bien elle est amenée à disparaître. Elle doit se convertir à une politique de souveraineté. Ce mot que les nationalistes ont longtemps accaparé, prend aujourd’hui un nouveau sens. Désormais, d’Emmanuel Macron à Ursula Von der Leyen, les leaders européens n’hésitent plus à l’employer et à déclarer que la puissance de l’Europe est conditionnée à l’affirmation de sa souveraineté. Autrement dit, l’Europe doit cesser d’être naïve face au reste du monde. Mais encore faut-il s’en donner les moyens. Pour Dominique Reynié, cela passe d’abord par la restauration et la défense de frontières communes. On a vu avec quelle hâte les règles de Schengen ont été suspendues alors que la priorité portait sur les frontières extérieures. Cela passe aussi par une plus forte autorité sanitaire à commencer par une maîtrise de la production de médicaments. 80% des principes actifs des médicaments que nous utilisons en Europe sont produits en Chine. C’est cette production qu’il faut relocaliser en Europe.
On pourrait décliner cette nécessité de souveraineté en matière énergétique, alimentaire, mais aussi scientifique, technologique et numérique. L’Europe est face à une montagne. Cette crise doit lui permettre de la gravir sans quoi les ennemis de l’idée européenne auront beau jeu de triompher, prévient Dominique Reynié. On peut incriminer les européens, regretter son incapacité à agir en tant que puissance, mais plus largement, face à une crise devenue globale, sans précédent depuis les guerres, force est de constater qu’il n’y a pas véritablement de communauté internationale préparée à faire face à une telle pandémie.
Dépendances stratégiques
C’est la thèse d’Hubert Védrine qui dans un entretien au Figaro expliquait récemment pourquoi le choc du Coronavirus fait voler en éclat des croyances que l’on pensait pourtant enracinées. On savait déjà que la mondialisation a conjugué dérèglementation financière et délocalisation des productions industrielles dans les pays à bas coûts salariaux. Mais on semble découvrir aujourd’hui que les dépendances stratégiques que cela a engendré, ont été négligées ou jugées secondaires. Pour Hubert Védrine, cela confirme la naïveté ou l’absence d’un système multilatéral véritablement opérationnel. Pour lui, cela confirme que l’Union Européenne, le marché unique, et sa politique de concurrence ont été conçues pour « un monde sans tragédie ».
Si chacun a tiré parti de la mondialisation, les chinois en premier, il est venu le temps de s’interroger sur la stratégie européenne post coronavirus. Les faits montrent qu’une nouvelle ère se dessine. Hubert Védrine souligne, à cet égard, qu’en mettant 1000 milliards d’euros sur la table et en décidant la suspension générale des règles budgétaires (les fameux 3%), la tendance est enclenchée. Au-delà de ces prises de consciences, Hubert Védrine s’interroge également sur la remise en cause de notre mode de vie qui s’articule autour d’une mobilité permanente sans limites ni entraves.
Redessiner l’avenir
Cette crise va-t-elle bouleverser notre manière de circuler, d’échanger, de produire, de consommer ? S’il redoute de puissantes forces inertie économique, commerciales et sociétales qui vont exiger un retour à la normale, il appelle à la création d’un système opérationnel de coopération internationale entre gouvernements, plus sûr qu’une fumeuse gouvernance mondiale, pour détecter, alerter et organiser la réponse aux futures crises. En réalité, il appelle à passer aux cribles tout le système établi au sortir de la seconde guerre mondiale, de Bretton Woods à l’ONU.
C’est ainsi que l’on tirera réellement les leçons de cette crise sanitaire et économique. Et pour l’Europe, c’est l’occasion historique de se libérer de certaines œillères, en combinant mieux souverainetés nationales qu’il faut préserver et souveraineté européenne qu’il faut urgemment concrétiser.
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