Que le gouvernement des hommes s’exerce dans le cadre du droit semble un acquis de la démocratie libérale. Cela signifie que les lois ne peuvent être votées que dans le respect d’un certain nombre de principes. Ce sont ceux de la République, exprimés en premier lieu dans la Constitution.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’académie de Corse
Pour qu’un parti soit authentiquement démocratique il ne suffit pas qu’il respecte le fait majoritaire lors des élections, il faut qu’il admette les droits de la minorité et fasse siens les principes fondateurs de la démocratie : en France les principes républicains de Liberté, d’Égalité et de Fraternité.
La question se pose pour les partis de la droite extrême et aujourd’hui de la gauche extrême. Si les plus importants comme le Rassemblement nationalet La France insoumisesemblent pour l’instant avoir abandonné une conquête du pouvoir autrement que par les urnes, il est loin d’être certain qu’ils acceptent l’autolimitation de l’exercice du pouvoir et l’existence libre de contre-pouvoirs. Curieusement c’est ce qu’on appelle paradoxalement des démocraties illibérales : la Hongrie en est quasiment une et les États-Unis de Donald Trump y tendent. L’État de droit implique un rapport à l’idée de Vérité qui permet de débattre librement des opinions et ouvre ce qu’on appelle un front scientifique autour duquel s’élabore la science contemporaine. Pour ces démocraties illibérales, il n’y a que des opinions dont la plus puissante est réputée comme vraie et ne doit pas être contestée. Elles s’en prennent d’ailleurs en premier aux institutions scientifiques.
Vérités et opinions
Le pouvoir démocratique authentique ne prétendant pas détenir la vérité mais faire signe vers la vérité, il exige une opposition qui a tout le droit de contester ses propositions. En un mot le sens de la Vérité est un principe régulateur dans une démocratie authentique, l’opinion du plus fort au contraire s’érige en absolue vérité dans les démocraties illibérales. Il est vrai que l’usage des sondages d’opinion, combiné à celui des réseaux sociaux, fait passer un état de l’opinion pour une vérité absolue : il n’y a plus de vérités, il n’y a plus que des opinions. La distinction entre une information et un mensonge s’efface.
L’état de droit est celui où aucun pouvoir ne peut s’arroger la possession du vrai, où ses décisions sont soumises au libre débat qu’il soit bien entendu parlementaire ou soutenu par une presse libre. Comme pour la science il n’y a que de vérité provisoire et la philosophie du non est source de progrès. L’acquiescement continu est non seulement ultra-conservatisme mais régression et décadence. C’est pourquoi le droit peut et doit censurer le politique. Comme Machiavel l’avait fort bien décrit, la politique est bien la gestion des rapports de force. Elle se pratique ou cyniquement ou elle accepte de se modérer par le droit.
Le fait du prince
« L’existence d’une autorité judiciaire est nécessaire pour que la démocratie ne devienne pas illibérale »
L’État de droit n’est pas l’état du droit car dans ce cas, comme l’avait constaté Julien Freund, il n’y aurait pas d’essence du droit mais d’essence que du politique. Le Prince, c’est-à-dire le pouvoir exécutif serait le Souverain, c’est-à-dire la source du pouvoir législatif. La séparation des pouvoirs est celle où le Prince n’est pas le Souverain. Contrairement à ce que certains peuvent croire au nom de la démocratie directe, la souveraineté du peuple implique qu’on ne soit pas soumis au fait du Prince, fût-il élu, et que le droit arbitre les conflits possibles entre le Souverainet le Prince.
L’existence d’une autorité judiciaire est donc nécessaire pour que la démocratie ne devienne pas illibérale. Cependant le judiciaire doit rester une autorité et ne pas devenir un pouvoir. La tentation du pouvoir des juges serait une abdication de l’autorité judiciaire qui se réduirait à un pouvoir. Pour éviter cette dérive, la simplification des lois et règlements est une condition sine qua non car la complexité devient facilement absurdité et entraîne la méfiance populaire à l’égard des magistrats.
Pouvoir populiste
C’est ainsi que naissent et prospèrent tous les populismes. Un pouvoir exécutif populiste s’empresse de supprimer les corps intermédiaires et de rabaisser l’autorité judiciaire.
Quelle que puisse être l’irritation que peuvent susciter certaines décisions de justice, l’effacement de l’autorité judiciaire conduirait à interdire toute irritation, abandonnant le citoyen à sa confrontation directe avec le pouvoir exécutif ce qui est le premier pas vers la tyrannie.
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