FAKE NEWS ET CONFABULATION À  L’ORIGINE  DES  FAUX  FAITS

Par Charlse Marcellesi
Médecin

Le développement des nouveaux médias et des réseaux sociaux a amplifié de façon hyperbolique le phénomène des «faux faits» (fake news: information sciemment mensongère) connu depuis l’Antiquité. Dans un texte de 1976, Lacan associait l’origine du faux fait dans le développement du psychisme humain à la constitution de « la racine de l’Imaginaire ».

Les faux faits ne datent pas d’hier: un personnage de l’Antiquité d’époque romaine semble en avoir été particulièrement victime au point d’en devenir un objet d’historiographie (Jean-Noël Castorio). Il s’agit de Messaline, mariée très jeune à l’empereur Claude. Se sentant menacée par les intrigues d’Agrippine La Jeune et de son fils Néron, elle fomenta avec son amant, le très beau Caius Silius, un coup d’État contre l’empereur en voulant le déposer ; démasquée, elle reçut dans les fameux jardins de Lucullus l’injonction de se suicider, refusa d’obtempérer et fut assassinée. Les propagandistes des empereurs de la dynastie suivante, les Antonins (Trajan, Hadrien…), pour mieux faire ressortir un certain retour à l’ordre moral par rapport à leurs prédécesseurs Julio- Claudiens, firent de Messaline l’archétype de la femme sexuellement insatiable, celle qui selon Juvénal, se prostituait dans les bordels les plus sordides de Rome et ne partait à la fermeture, la dernière et qu’avec regret, « la vulve raide ». On sait en fait très peu de choses de la «vraie» Messaline et ses comportements semblent avoir été ceux qu’autorisait l’état des mœurs de son époque. De nos jours, les faux faits, grâce à l’existence des moyens de communication informatique et de la pratique des réseaux sociaux, se propagent comme l’incendie qui allume de place en place de nouveaux foyers de diffusion. Des hommes politiques, comme le très narcissique Donald Trump, en font un usage systématique.

Le test du miroir

La parole, celle du sujet parlant et désirant, et l’image conduisent dans le fonctionnement du psychisme humain à la confection d’un Imaginaire qui est le premier faux fait et la matrice de tous les autres. L’homme, animal dénaturé, a besoin de la parole pour suppléer à la défaillance de l’instinct dont disposent les animaux. Le fonctionnement du corps va dès lors non seulement être lié à la parole (c’est la mère de l’enfant qui lui apprend à reconnaître et nommer ses éprouvés corporels) mais doit en passer par la reconnaissance de l’image du corps reflétée par le miroir : à de rares exceptions près (dauphins, éléphants d’Asie, grands singes) et comme le montre le test du miroir de Gallup, les animaux ne reconnaissent pas leur image dans le miroir. Chez l’homme, la perception des sensations du corps au départ est morcelée et c’est le processus de reconnaissance de l’image dans le miroir qui en permet un vécu unifié, c’est-à-dire une consistance. À l’illusion que le corps et l’image du corps ont une consistance, s’ajoute le phénomène de la mentalité, qui permet à l’enfant de détacher les éprouvés corporels du corps et de l’image du corps, de les lier à ses affects, et de les déplacer sur l’image du corps d’un autre enfant ou d’un semblable; ainsi peu après qu’il ait reconnu son image dans le miroir (entre 6 et 18 mois), l’enfant la confond un temps avec celle d’un semblable dont il est séparé par une différence d’âge de moins de 2 mois 1/2 (il pleure quand il voit cet autre enfant tomber comme si cela lui était arrivé à lui) et si la différence d’âge est plus marquée, il se débarrasse de ses éprouvés corporels gênants – son masochisme – sur un semblable ce qui par exemple le fera rigoler si quelqu’un d’autre reçoit des coups.

L’exemple de Narcisse

L’image de soi, sous la forme du Moi, génère l’imagination, et constitue le système défensif du sujet grâce à l’amour propre, dont La Rochefoucauld, dans ses Maximes, a donné une expression littéraire. Enfin, le sexuel pare l’objet du désir que le corps est censé recéler, d’une brillance, d’un éclat, qui permet d’oublier que ce n’est qu’un tas de chairs à l’occasion malodorantes; cette adoration du corps accapare les soins du sujet («je le panse donc je l’essuie», plaisante Lacan) ou permet l’adoration sexuelle du corps d’autrui. Dans le Narcissisme, on retrouve une séquence similaire: l’autoérotisme du corps crée l’énergie psychique (la libido), celle-ci est investie dans l’image du corps qui en est comme un réservoir, et de là elle est déplacée sur les «objets» qui intéressent le sujet. En mathématiques des espaces hyperboliques, on pourrait représenter cela comme les collusions successives de 3 boules de billard. Que ce processus de reconnaissance de l’image du corps, la « racine de l’Imaginaire » selon Lacan, fonctionne comme une construction, un artifice, soit un « faux fait», est suffisamment attesté par la mésaventure de Narcisse qui, dans le mythe, ne répondit pas aux hommages intéressés que les autres rendaient à sa beauté, puis ne se reconnut pas dans son reflet et lui déclara son amour, pour ensuite dépérir au point d’en perdre toute consistance.

Confabulations

Dans la psychose paraphrénique, le sujet construit un délire d’imagination sur de fausses reconnaissances et l’exprime dans des confabulations à connotation souvent fantastique : c’est comme si structuralement c’était de la partie de l’image du corps non investie de libido que naissaient et proliféraient les faux faits des confabulations.

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