Si l’affaire Benalla a réveillé l’opposition, lui donnant l’occasion de s’ériger en défenseur de l’éthique et de la vertu (!), elle apparaît comme l’un des nombreux symptômes de la dérive de nos démocraties et ravive la défiance des Français envers leurs gouvernants.
Par Vincent de Bernardi
Un peu plus d’un an après l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, la société française demeure traversée par des doutes et des inquiétudes. L’espoir et l’optimisme des premiers mois se sont dissipés. C’est ce qui ressort de la dernière vague de l’enquête « fractures françaises » réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean Jaurès qui interroge les Français sur le jugement qu’ils portent sur la politique, l’état de la démocratie, la place de la France dans le monde. Le terme de fractures prend tout son sens lorsque l’on s’attache à observer le rapport des enquêtés à la démocratie. Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos et Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean Jaurès soulignent que la crise de la démocratie a supplanté la crise politique. L’élection d’Emmanuel Macron a laissé penser que la crise politique, sans être réglée, loin s’en faut, avait entamé un recul notable. Ils notent que la crise de la démocratie emprunte un chemin « ambivalent ». Le jugement des Français sur le fonctionnement de la démocratie s’améliore depuis deux ans, même s’il est encore perçu négativement (72%). En revanche lorsqu’on leur demande s’il s’agit du meilleur des systèmes, leur opinion se dégrade constamment depuis trois ans.
Fractures profondes
En 2015, ils étaient 74% à estimer que le régime démocratique était irremplaçable et représentait le meilleur système possible. Ils ne sont plus aujourd’hui que 64%. Parallèlement, ils étaient 26% à penser que d’autres systèmes politiques pouvaient être aussi bons que la démocratie. Ils sont désormais 36%. Cette idée progresse particulièrement chez les moins de 35 ans (+10 depuis 2016), chez les sympathisants du FN (+10), de la France Insoumise (+16) du Parti socialiste (+14). C’est sans doute là que se traduisent les fractures les plus profondes. Pour Brice Teinturier et Gilles Finchelstein, ces résultats montrent d’abord une fracture éducative et culturelle. 46% des jeunes de 18 à 35 ans pensent que d’autres systèmes politiques sont aussi bons que la démocratie contre 28% des plus de 60 ans.
Le niveau de diplôme est également un facteur discriminant puisque ce jugement est émis par 40% de ceux qui n’ont pas le bac contre seulement 24% de ceux qui poursuivent des études supérieures. Le constat est limpide. « La démocratie se nourrit de connaissances, de références éprouvées individuellement ou transmises par les aînés et d’un lien étroit avec la politique. Sans ancrage fondamental, on passe du désintérêt de la politique en général à la relativisation de la démocratie elle-même » soulignent les auteurs. La deuxième fracture est d’ordre sociologique. 51% des catégories populaires, 58% de ceux dont le revenu est inférieur à 1200 euros mensuels et 41% des habitants des zones rurales, relativisent les bénéfices de la démocratie. Ce qui fait dire au directeur de la Fondation Jean Jaurès que la dimension sociale est consubstantielle à la démocratie.
Le prix de la liberté
Lorsque le système politique n’est pas capable de résoudre la précarité, pourquoi dès lors le considérer comme le seul acceptable ? Le terreau du populisme est bien là. Et les partis extrémistes de gauche comme de droite s’appuient sur cette désaffection pour engranger des soutiens. C’est d’ailleurs là que l’on observe la troisième fracture. Une fracture politique. Les sympathisants de Front National (désormais Rassemblement National) mettent clairement à distance la démocratie (64%) comme ceux de la France Insoumise (43%). Les auteurs observent une tendance à la radicalisation de cet électorat très à gauche ou très à droite, sur la question de l’attachement à la démocratie et à ses principes. Plus l’on pense que la France est en déclin, que la mondialisation est une menace, qu’il y a trop d’étranger, qu’il faut rétablir la peine de mort, plus on estime que la démocratie n’est pas le meilleur des systèmes pour répondre aux préoccupations des citoyens. Dès lors tous les éléments sont réunis pour voir apparaître cette « démocratie illébérale » qui commence à gagner l’Europe.
Cela impose aux démocrates de ne jamais abandonner le combat, de rappeler combien la politique est essentielle à la promotion de l’ouverture et du dialogue. C’est le prix de la liberté.
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