« Les Marseillais », les princes de la téléréalité, Hanouna et autres programmes lénifiants semblaient avoir accaparé les esprits de la jeunesse corse. Des jeunes acculturés qui avaient grandi, bercés par Aya Nakamura et Jul, enivrés de poudre blanche pour les plus âgés. Finalement, ce n’est pas une généralité loin de là ! Esiste sempre una ghjuventù Corsa, arradicata, impegnata cù una cuscenza pulitica par a maiò parte. Chì sà quand’ella deve briunà, sfucassi, tacessi, racogliesi in u rispettu.
Par Vannina Angelini-Buresi
Où étaient-ils jusque-là ? Étaient-ils en sommeil ? Malgré leur jeune âge, avaient-ils tout misé, eux aussi, sur la politique institutionnelle ? Voilà moins d’une décennie, ils étaient encore très jeunes, ils ont cru que la lutte de terrain était antinomique de la puissance démocratique ! C’est ce en quoi ils ont cru. La jeunesse rebelle faisait partie du passé. Et pourtant n’est-ce pas par là que les responsables politiques actuels ont commencé. La lutte populaire serait-elle, au gré des situations, complémentaire de celle portée par les voies de la démocratie et du pouvoir institutionnel ? Quelles que soient l’analyse et la perception, un fait probant domine. La nouvelle génération s’est soulevée. Elle laisse place à une interrogation qui se résume en une formule populaire : Allora viulenza o mossa populara ?
« On s’est dit que c’était mieux de faire tous ensemble plutôt que chacun de son côté pour que notre voix soit plus forte et mieux entendue et on voit finalement que ça a marché. Je ne sais pas si j’étais vraiment politisée. J’avais mon opinion mais cette fois c’était vraiment l’occasion de l’exprimer. » Flora se sent comme beaucoup d’autres suffisamment « grande » à présent « on n’est plus des enfants », dit-elle et de confier qu’il était opportun de dire collectivement le ressenti d’une tragédie. Et d’ajouter en substance qu’au-delà du drame humain ce fut le terreau d’une émancipation. Une sorte de structuration spontanée qui se concrétisa au sein d’un collectif lycéen. L’adolescente explique par ailleurs que spontanément et presque « du soir au lendemain » la jonction se fit avec le syndicat étudiant. Sous forme de confidence, elle dit que les « aînés » furent d’une collaboration précieuse pour rédiger leur texte initial revendicatif médiatisé lors d’un point presse. Et d’ajouter non sans un brin de fierté que les suivants furent écrits sans aide.
Fer de lance
L’avenir proche ? « On va continuer à se mobiliser une raison encore plus forte pour continuer et ne pas lâcher. On va privilégier toutes les actions en dehors des heures de cours, le soir, les rassemblements le mercredi après-midi et le week-end ainsi que les tractages, rassemblements et tout ce qui sera bénéfique pour notre action. »Le collectif en profitera pour porter d’anciennes revendications tel bien sûr le corse obligatoire durant tout le cursus scolaire. Mais en corollaire une coofficialité effective et quotidienne dans tous les établissements. En incidence, il est souligné que U cullettivu di i liceani corsi est sans doute appelé à se restructurer afin de rayonner pleinement sur l’ensemble de la population lycéenne insulaire.
Durant ces dernières années, le mouvement nationaliste paraît s’être quelque peu essoufflé. Tel est le constat largement partagé au sein de la nouvelle génération. Un de ses représentants martèle dans ce droit fil : « On a l’impression que l’on a réussi à réveiller les élus. Quelque chose est en train de se passer. » Il est vrai que les revendications mises en relief par le collectif du 9 mars sont entendues. Représentants de syndicats étudiants, lycéens, mouvements nationalistes et les forces vives telles que l’Università di Corsica sont actuellement le fer de lance d’un cahier de doléances politiques et sociétales. Avec en point d’orgue immédiat le rapprochement des prisonniers.
Battiste Mariani a 17 ans et est en classe de terminale. Il explique qu’entre camarades ils se sont concertés pendant les vacances de février au lendemain des événements. Sans l’ombre d’une hésitation la décision d’une mobilisation fut actée. Dans un souci de plus grande efficacité un rapprochement avec les organisations étudiantes fut naturellement concrétisé. Mais après quasiment trois semaines de blocus des lycées, il souhaite reprendre les cours soucieux de son avenir et conscient de l’importance des examens de fin d’année, notamment le baccalauréat.
L’imagination au pouvoir
Toutefois comme Flora et bien d’autres, Battì ne baissera pas les bras. Lui aussi réfléchit à de nouvelles formes d’actions. La stratégie s’esquisse « on va vraiment essayer de se mobiliser autrement, on a pensé à des rassemblements, réfléchir à ce qui pourrait être le plus bénéfique et ce qui pourrait avoir une plus grande portée. » Dans l’intervalle, tous attendent avec une impatience non dissimulée des réponses probantes, des avancées significatives. Notamment sur des questions urgentes telles que la langue et le sort des prisonniers.
Battì avoue avoir baigné dans un environnement politisé et avoir été sensibilisé très tôt par l’affaire Érignac. Tout en déplorant les conditions de détention des condamnés. Sans doute s’est-il forgé sa propre opinion via les réseaux sociaux, mais aussi en échangeant avec d’autres personnes lors de discussions informelles ou élaborées. La parole, les points de vue partagés ou différents sont propices à la prise de conscience. Celle qui forge une identité. Dans ce prolongement s’ouvre à ses yeux un parcours professionnel. « J’aimerais me consacrer à Studii Corsi et faire des études de journalisme. Ce serait déjà une première façon de militer pour ma langue et de contribuer à son épanouissement. Cela revêt une grande importance à mes yeux. » Pour cet adolescent et bien d’autres, le développement de la langue est indissociable du panel des revendications du mouvement national.« C’est en parlant entre nous en essayant de transmettre vraiment la langue au niveau des jeunes que se concrétise et s’instaure une première façon de militer et grâce à ce ciment linguistique contribuer à bâtir une vision commune. »
La politique autrement
Pour l’instant, Battì ne sait pas s’il rejoindra un mouvement politique. Cela ne l’interdit pas d’avoir une préférence pour Core in Fronte, même s’il n’en épouse pas toute la doctrine.
Dumenicu Biancucci est inscrit en Studii Corsi. Il a 19 ans et a choisi de ne pas se syndiquer. Certes la politique ne le laisse pas indifférent, mais il a préféré donner d’autres formes à son investissement. Lesquelles ? Militer, travailler pour la langue, pour la culture. Dans le village où il a grandi, il a évolué dans une famille de militants nationalistes. Cela ne fut sans doute pas étranger à sa construction personnelle et à la conscientisation de sa juvénile existence et politique. Très tôt d’ailleurs, il fut interpellé par des questions conjuguant la langue, la spéculation, l’identité. Et en filigrane, l’abandon des manifestations populaires. « Finalement on s’est aperçu que la lutte de terrain était complémentaire à celle dite institutionnelle. Nul n’infirmera que l’actuelle mobilisation massive des jeunes fut le prélude à l’ouverture d’éventuelles discussions. »
La génération de Dumè n’était pas née au moment de l’assassinat du préfet Érignac. Mais elle a vécu les procès et les différentes manifestations qui réclamaient l’application du droit. Et cela suscita de manière diffuse ou explicite une soif de justice. Elle se matérialisa, rappellent nos interlocuteurs autour des trois axes définis par le Collectif du 9 mars, ghjustizia è verità, liberazione di i prighjuneri pulitichi è soluzione pulitica glubale.
Un engagement qui permettra, selon le jeune étudiant, de remettre sur la table d’autres questions. Parmi elles, le statut de résident, la question de la spéculation immobilière et foncière ou encore le statut fiscal. Selon lui toujours, la mobilisation doit se poursuivre, elle est à inventer, chacun doit se responsabiliser. Il est normal que cette jeunesse soit dans la rue au premier plan mais il faudra tout faire pour éviter un drame. « C’est normal que l’on soit tous concernés. L’État s’évertue à donner des leçons de démocratie au monde entier et se refuse à appliquer dans son propre pays ses propres lois. En l’occurrence dans cette affaire, je crois profondément qu’il s’agit d’une vengeance d’État qui remet en cause la séparation des pouvoirs : politique, justice et pouvoir judiciaire ! »
La symbolique di e veghje
Arthur Solinas u purta voce di a Ghjuventù Paolina hè dinò u presidente di u gruppu à l’Assemblea di a Giuventù. Selon lui avant le 2 mars la Corse connaissait un désert politique sur le terrain, y compris au niveau de sa jeunesse. Son syndicat n’est proche d’aucun mouvement nationaliste et souhaite justement garder son indépendance. À l’université, aujourd’hui, il y a trois syndicats. Certes entre eux existent des divergences, mais les discussions réciproques et mutuelles existent. Et sur bien des points l’accord est prégnant. La sauvage agression qui devait coûter la vie à Yvan Colonna fut un naturel point de ralliement. Il ont été profondément révoltés et l’exprimèrent sans ambages. Ils se sont rassemblés dans les différentes veghje organisées dans toute la Corse et dont ils étaient les initiateurs à Corti. Politisé, Arthur a été agréablement surpris de voir la jeunesse s’impliquer dans cet élan populaire au lendemain de la funeste agression de la prison d’Arles. Lui aussi est convaincu qu’il ne faut plus opposer le combat institutionnel à la lutte de terrain. « Vi vole à fà sente a voce di a Nazione Corsa. » « Continuer à s’investir via les syndicats, les mouvements mais aussi à travers l’Associ culturali. « Avemu pussutu vede mentre à e sfarente addunite ch’ellu sì mughjava,ch’ellu sì luttava ma dinò ch’ellu sì cantava, sunnava è risparghia una cultura tramandata è mintinuta.»
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