Hélène et autres Femme(s) de l’ombre
Par Laura Benedetti
Ingrid Levavasseur fait partie de ces mères qui élève seule ses deux enfants. Ancienne figure du mouvement social des « gilets jaunes », elle a milité pour des conditions de travail dignes plaidant la cause des femmes célibataires « exclues du champ social par le fait d’élever seule leurs enfants. »*
Elle a suscité un moment de bascule dans la prise de conscience collective et politique de la place des familles monoparentales, dont Libération, dans un article paru le 14 mars dernier, chiffrait à 82% la représentation des mères isolées de ces foyers. Particulièrement touchée par la précarité, qui ne cesse de se creuser en Corse, Hélène De Guillebon, une femme, une mère, qui a une importance. Grâce à elle, une association dédiée au « Secours » des mamans désemparées, et encore trop invisibilisées, a vu le jour en tout début d’année. L’importance est de mise, mettre en lumière la réalité pour laquelle elle s’engage à leurs côtés. Étroitement et, jusque-là, dans l’ombre.
Au plus près des mamans
À ces « mères courage », comme les a nommées le président Macron suite au cri porté par Ingrid Levavasseur – au moment des « gilets jaunes » – et bien, souvent, le courage ne leur suffit pas pour éviter de se prendre de plein fouet l’inflation et le manque d’aides spécifiques pour améliorer leur quotidien. Gabriel Attal, le Premier ministre, a ouvert une toute petite porte à ses grandes oubliées, lors de sa déclaration de politique générale. Lui-même, élevé par une mère solo, il a chargé la députée Fanta Berete et le sénateur Xavier Iacovelli de penser une palette de dispositions d’ici fin juillet 2024, en vue d’une proposition de loi pour « lutter contre la précarité » de ces familles. D’ici à ce qu’un texte soit adopté pour améliorer leur quotidien, Hélène perçoit l’urgence actuelle, notamment à travers une plateforme d’écoute dédiée à la souffrance de ces familles, dont elle est accompagnante. Le nombre de familles monoparentales en Corse, pas évidentes à chiffrer car plus invisibilisées par le fait de la proximité des individus sur l’île et le tabou qu’elles engendrent, est loin d’être épargnée par ce contexte. Face à cela, Hélène s’est dit qu’il fallait absolument agir concrètement en soutien à ces mères solos confrontées à une grande vulnérabilité : « En Corse on est pudique, on cache ses problèmes personnels, on évite d’en parler et il n’y a plus la famille nombreuse d’antan pour épauler la femme seule. Alors on se confie davantage sur les réseaux sociaux : beaucoup de partages de mamans seules qui avouent se nourrir d’un croûton de pain pendant que leurs enfants, heureusement, profitent de la cantine scolaire. », nous dit Hélène. Et, poursuit : « Le constat est unanime aujourd’hui : ce sont les femmes, les mamans seules qui sont le plus touchées par la précarité. Lorsqu’une femme est abandonnée parce qu’elle est enceinte ou parce que le couple n’est pas stable, éphémère, c’est le plus souvent la femme qui doit brutalement faire face au quotidien : loyer à payer, frais pour les enfants, voiture à réparer et… frigidaire à remplir. Mais il faut tenir le temps que les aides de l’État se mettent en place, il faut tenir moralement vis à vis de l’entourage et parfois il faut se résigner à avorter car on n’arrivera pas à assumer un enfant de plus. » Les inégalités des femmes sont à ce titre bien présentes.
Secours aux mamans désemparées
La grande précarité des mères isolées est attestée et leurs conditions de vie sont fragiles. Hélène veut participer à leur combat pour s’en sortir : « Avec quelques amis, nous avons donc envisagé de créer cette association d’aide en urgence, de manière ponctuelle, pour soulager le quotidien de ces mamans et leur permettre d’envisager plus sereinement l’avenir. Nous l’avons déjà expérimenté : notre présence, notre intervention rapide pour payer la caution d’un nouveau logement ou des frais de déplacement multiples quand un enfant est hospitalisé sont vraiment très appréciés par les personnes dans la gêne “Merci du fond du cœur, merci mille fois pour l’aide financière et morale.” Et morale car c’est bien le but second de notre association : créer du lien avec ces jeunes femmes et un lien durable si possible en s’intéressant à elles, en les mettant en contact avec d’autres associations si besoin et ainsi leur redonner leur vraie place dans une société qui oublie vite ceux ou celles qui ne sont plus dans le mouvement. » Portée par une solidarité pugnace et un humanisme viscéral, elle, Hélène, cette femme de l’ombre, ne baisse pas les bras et se tient là pour les aider à surmonter leur insécurité et leur détresse.
La maternité et ses contours
Être mère reste une aventure unique. Au point de déclencher une forme de « burn-out » chez celle qui satisfait à tous les besoins du nouveau-né au prix d’abnégation et d’oubli de soi. Toutes les formes de maternité interrogent la vie, sous l’angle d’une grande histoire. Peu importe qu’il ait été envisagé ou moins, « on n’est jamais prêt, à ce que l’arrivée d’un enfant produit en nous. Il nous faut apprendre à composer avec cette vie, qui se présente comme aucune autre, sous la forme la plus fragile, et la plus imposante à la fois », nous dit Claire Marin**. Et chacune de ces mères a un droit d’espérer et d’atteindre un monde où ses conditions d’accueil sont dignes pour pouvoir se rendre disponible aux soins et à l’éducation de l’enfant. D’autant plus quand elle mène cette aventure en solo. Hélène souligne la singularité de l’île : « Nous savons qu’en Corse existe toujours une immense générosité qui se réveille dès qu’il y a une souffrance avérée ; nous l’avons souvent constaté lors d’accidents graves ; Tous se mobilisent pour les survivants. Nous arrivons à une époque où la natalité s’effondre, dans le silence. Il est temps de dénoncer les causes. L’une des plus graves nous semble cette nouvelle précarité dont on n’ose pas parler… mais on peut commencer à s’en préoccuper et essayer de la combattre. » Et achève sur ces mots l’entretien : « Nous démarrons cette association avec l’espoir qu’elle pourra aider et secourir des mamans et toucher le cœur de ceux qui pourront nous accompagner dans le soutien qu’on leur porte. Nous voulons être la voix des femmes et surtout des femmes corses pour réenchanter notre terre si généreuse par nature. »Libérons la parole et créons l’entraide. Elles ne sont pas seules. Elles sont des millions.
Contact : assosamd@gmail.com
*Richard Werly, « Ingrid Levavasseur, en colère mais toujours digne », sur letemps.ch, 15 novembre 2019.
**Art. « Apprendre à être mère », Claire Marin, extrait d’un journal le 1, 31 mai 2023.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.