Edito
Par Jean Poletti
En ce mois qui scelle le printemps, symbole de renouveau, la Corse semble engoncée dans les turpitudes hivernales. Tel un bateau ivre, elle affronte sa plus violente tempête sur une mer parsemée d’écueils économiques et sociaux qui fondent le mal-vivre. Les effets des vagues successives de la pandémie nous apprirent que les digues de l’insularité furent brisées au nom du droit commun. Refus du green pass et transports en liberté aggravèrent une situation déjà fragile. Happant certains secteurs dans la chronique d’un naufrage annoncé. Sauf à s’en tenir à l’écume des choses, une saine introspection indique que la cruelle pandémie contribua à l’effondrement d’un édifice déjà chancelant. Telle est la réalité. L’ignorer ou la mettre sous le boisseau, pour de vaines convenances politiciennes ou corporatistes, équivaudrait à récuser l’évidence. Et faire l’impasse sur une analyse objective. La crise actuelle devrait à l’inverse être aussi l’instant privilégié d’une interrogation collective sur les causes profondes d’un marasme latent. Sans cesse atténué par des palliatifs successifs. Cette fois, l’artifice n’a plus cours. L’instant de vérité balaie, tel un fétu de paille, l’illusion que l’État providence suffisait à maintenir notre région à flots. Cette théorie eut durant des lustres ses adeptes patentés, fréquemment érigée en doctrine politique. Qui, alors que cela était encore possible, initia un plan de sauvegarde du rural et la complémentarité intérieur littoral ? S’inquiéta-t-on collectivement des dégâts d’investissements débridés ? De la mainmise des forces obscures ? Quelle voie s’éleva pour affirmer haut et fort que le tourisme, certes maîtrisé et aux couleurs insulaires, devait être le socle de l’essor collectif ? Il fut à l’inverse officiellement qualifié sous une ancienne mandature de mal nécessaire, dans une approbation quasi-unanime. Faut-il rappeler, exemple parmi d’autres, les lauriers abondamment décernés à diverses entreprises pour leurs prouesses innovantes, en feignant d’oublier qu’elles ne subsistaient qu’avec des aides publiques ? Est-il opportun de se remémorer que Raymond Barre, alors Premier ministre, érigea la Corse en région solaire pilote. Et le meilleur économiste de France, selon Giscard, de claironner l’avènement de la transition énergétique ! Là aussi, éphémère trompe-l’œil. L’éclipse se produisit dans le ciel des chimères. Avec comme réponse le Vazziu et Lucciana. Au fil des ans, faute de réelle stratégie prospective les évidentes potentialités de la montagne au pied dans l’eau devinrent belles endormies. Accumulant les retards et impérieuses mutations. Dans un nombrilisme ambiant et le relatif lascia core. Certes des voix s’élevaient pour alerter sur cette torpeur qui confinait au non-développement. Mais à l’époque, elles ne reçurent nul écho probant. Et s’égosillaient à prêcher dans le désert. Aujourd’hui, le choc sociétal implique, chez nous plus qu’ailleurs, une véritable opération survie. Celle de la dernière chance. Car fracas et dégâts risquent d’être un tribut trop lourd à supporter. Mais alors que chacun devrait tirer dans le même sens et parler sans dissonances, il se trouve encore et toujours des adeptes de la philippique. Ici, la critique formelle d’une démarche du président du Conseil exécutif. Là, une querelle de chiffres concernant les pertes financières de l’économie locale. Un mur de dettes se désole pourtant, les socioprofessionnels craignent légitimement la multiplication des faillites. En l’occurrence, sauf à lire dans le marc de café, nul ne peut véritablement prédire l’envergure de la débâcle, tant chez nous les activités s’imbriquent et sont interdépendantes. Mais au-delà, le bât blesse entre le discours et la méthode. Le préfet est officiellement intronisé par l’hôte de l’Élysée chef de file et grand argentier. Avec en incidence l’horizon pour certains indépassable : qui paie décide. En bannissant tout jugement de valeur sur de telles dissensions, osons simplement souligner que lors de la création du Plan exceptionnel d’investissement, voilà deux décennies, la question du leadership n’avait pas revêtu une telle acuité. La sagesse commande que s’estompent ces querelles pour privilégier, au gré des rencontres, un fructueux espace de dialogue. L’attente est grande. Elle ne doit pas être déçue. Salvezza e rilanciu sont à ce prix. Et si le compte n’y est pas ? Certains auront beau jeu de dire que l’onori so castichi. En clair puisque l’État, rayant d’un trait de plume la spécificité et le droit à la différence nés de la décentralisation, veut être aux commandes, il en portera la responsabilité. D’aucuns ne se priveront alors pas de flétrir la vaine promesse de Macron d’appliquer un traitement spécifique à la Corse et à… Lourdes. Mais un miracle est toujours possible !
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