SOLIDEMENT ANCRÉ À BONIFACIO, JEAN-CHARLES ORSUCCI FAIT PARTIE DE CES HOMMES POLITIQUES, GUIDÉS PAR DE VÉRITABLES CONVICTIONS, DONT LA PAROLE COMPTE. POUR PAROLES DE CORSE, IL A ACCEPTÉ DE COMMENTER L’ACTUALITÉ LOCALE ET NATIONALE. REVUE DE DÉTAIL.
Interview
Par Jérôme Paoli
Première question, comment va le Président ?
Ces derniers temps, il est plutôt accaparé par l’actualité au plan national et international. Il demeure néanmoins attentif à nos problèmes, preuve en est, il est venu saluer les élus de la Corse et a pris le temps d’échanger Place Beauvau.
Alors que beaucoup de communes peinent financièrement pour se développer, vous avez signé en octobre 2021 un Contrat de Relance et de Transition Écologique (CRTE) qui identifie près de 40 millions d’euros d’investissements dans les prochaines années et prévoyez 26 millions d’euros d’investissements cette année, quel est votre secret ?
En effet, ce chiffre est colossal aucune commune de même strate – en Corse et même sur le continent, on ne peut se targuer d’un tel volume d’investissements. Mon secret est d’être entouré d’une équipe municipale soudée et volontaire, d’une administration structurée, exemplaire et d’une population qui partage et soutient notre projet de développement de ce territoire.
Sur ces 66 millions d’euros, en plus des 26 millions investis par la commune, vous avez réussi à obtenir 40 millions de l’État. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à Bonifacio, l’État est un partenaire ami.
Je vous rappelle que sur ces 40 millions d’euros, la commune devra mettre au pot 8 millions d’euros. Effectivement l’État est à mes côtés et dans son rôle quant aux financements de projets que nous présentons et défendons. Des projets suffisamment aboutis pour obéir à l’urgence du plan de relance, qui présentent un intérêt régional voire national et répondent à des besoins d’une commune de 3 000 habitants qui accueille plus de deux millions de visiteurs par an et joue un rôle moteur dans l’économie touristique de notre île.
J’observe que ce partenariat vaut aussi pour tant d’autres communes corses comme Porto-Vecchio ou Bastia, qui ne sont pas dirigées par des macronistes. Voici quinze ans que les institutions m’assistent dans la concrétisation de mes projets, toutes tendances confondues. Peut-être faut-il voir là un travail cohérent, raisonné et abouti ? Cependant, la commune s’acquitte de sa quotepart, financée essentiellement par les ressources générées par l’exploitation de ses parkings, de son port de plaisance et des impôts et taxes issus de l’activité touristique.
Concrètement qu’allez-vous faire avec ces 66 millions ?
Grâce au CRTE, nous avons d’ores et déjà initié la restauration des remparts de notre cité avec une première partie déjà rouverte au public. La mise en accessibilité et en tourisme de la tour du Torrione est en cours. Un parking en silo à l’entrée de la Haute-Ville ainsi que le moyen mécanique de lier la marine et la citadelle sont à l’étude.
Au titre des équipements communaux, l’usine de potabilisation est en cours de réalisation, la pelouse de notre stade sera rénovée, la réhabilitation du couvent Saint-François, qui abritera toute notre politique culturelle, débutera…
En matière de logement, nous effectuerons des travaux de VRD pour la construction de nouveaux logements sociaux par un bailleur social et devrions acquérir deux bâtisses à l’Office Foncier et qui deviendront à terme du logement permanent.
In fine, qu’il s’agisse de patrimoine, de culture, de sport, de réhabilitation de logements pour les Bonifaciens, ces fonds seront dédiés afin d’améliorer le quotidien des résidents à l’année. Nous assumons notre choix qui tend à faire contribuer les visiteurs, vacanciers et plaisanciers à l’amélioration de notre ville.
Autre sujet, la reprise des attentats, en particulier contre des mairies, cela vous inquiète ?
Le seul moyen que je reconnaisse pour contester un édile, c’est le suffrage universel !
Les maires connaissent et entendent les problèmes des populations, ils sont au plus près des citoyens. Dans cette société en perte de repères, où la violence devient un mode d’expression, il faut s’inquiéter évidemment.
Maire en Corse aujourd’hui, est-ce plus difficile qu’avant ?
C’est moralement plus difficile car il y a cet opprobre jeté sur les élus, cette défiance permanente. Nous sommes aussi plus exposés car soumis à la vindicte haineuse des réseaux sociaux sous couvert d’anonymat. Les élus d’antan étaient certainement plus préservés. Nous subissons maintenant une présomption de culpabilité sur tous les sujets alimentés par la désinformation y compris par certaines associations.
De nombreux élus envisagent même de ne pas se représenter et vous ?
Face à certains comportements, il m’arrive de me poser la question, évidemment. La passion et la confiance de mes concitoyens bonifaciens l’emportent… Pour l’instant.
Vous vous êtes toujours positionné comme un autonomiste de gauche ? Aujourd’hui, vous êtes encore de gauche ? Toujours autonomiste ?
Plus que jamais. Je suis à gauche car l’homme est individualiste et que je considère que la puissance publique se doit de rétablir, notamment par l’impôt, une certaine justice sociale.
Je suis autonomiste car hormis les missions régaliennes, il faut que les décisions soient prises au niveau des territoires. Mais attention, l’autonomie sera pour le meilleur mais aussi pour le pire. Être autonome c’est choisir, agir et parfois déplaire. Aussi, je demeure convaincu que plus l’autonomie sera grande, plus les pouvoirs de police et de justice devront être présents pour lutter contre les appétits qui ne manqueront pas de se renforcer.
Comment jugez-vous la méthode du président de l’exécutif pour obtenir cette autonomie. Il s’y prend de la bonne façon selon vous ?
J’ai eu l’occasion d’échanger avec José Rossi à propos des accords Matignon. À l’époque, la Corse s’était présentée à Paris avec un projet partagé par la quasi-totalité des groupes de l’Assemblée, majorité et opposition comprises. Aujourd’hui, on observe des élus de l’Assemblée de Corse qui dénoncent un manque de concertation.
Gilles Simeoni doit initier ces discussions avec toutes les forces politiques (y compris non représentées) ainsi que les forces vives de l’île. Nous attendons cette démarche avec impatience.
Et celle du ministre de l’Intérieur ? On a parfois, pour ne pas dire souvent, l’impression qu’il n’a pas vraiment envie de donner l’autonomie aux Corses.
Je conteste sans détour cette affirmation. Je ressens au contraire un État qui est prêt à aller loin, à nous mettre en situation de responsabilité réelle. C’est à ce moment que je nous appelle collectivement à la plus grande prudence, à mettre le curseur au bon endroit, en conscience et en responsabilité, sachant qu’une fois qu’un niveau est franchi, il n’y a pas de retour en arrière possible.
Ajouté à cela, l’État par la voix de Gérald Darmanin a bien indiqué que c’est à la Corse de présenter son projet. Et c’est normal. Comment être autonomiste et attendre que Paris nous dise quelle Corse nous voulons construire ?
Vous soutenez toujours la minorité présidentielle ! ?
Le Président est certes minoritaire à l’Assemblée nationale. Pour autant, peut-on considérer que la NUPES et le RN sont majoritaires sauf à envisager une alliance contre-nature ? Face à lui se trouvent deux blocs qui n’ont pas vocation à s’unir, preuve en est, l’échec de la motion de censure.
La réforme des retraites était nécessaire, il en va de la survie du système par répartition. J’aurais préféré le projet de 2017, retraite à points, âge pivot… plus à gauche, mais c’est bien la gauche qui a combattu ce projet et je le regrette.
Je demeure fidèle au président de la République et vous connaissez mon admiration pour feu mon mentor Michel Rocard, les idées et valeurs qu’il incarnait ainsi que mon attachement à la social-démocratie. Face au chaos que promettent les deux extrêmes populistes que sont LFI et le RN, un parti LR en perte de repères, sa voix, le corpus idéologique qu’il incarne ne peut faire que du bien à tout citoyen qui désire encore plus d’esprit de responsabilité dans ses représentants. En cela, il faut avoir un discours clair sur la direction que doit prendre notre pays. Face aux pompiers pyromanes qui veulent stigmatiser toute une population ou à ceux qui pensent que les seuls actes de violence proviennent de la police, on doit enfin réaffirmer la laïcité comme ciment de la République. Face aux tenants du droit à la paresse et de la décroissance, il faut mener une politique de production des richesses destinées à une plus juste redistribution. Afin de renouer le dialogue social, il faut s’emparer de ce grand chantier qu’est le mieux vivre au travail. Pour ne pas construire une société à deux vitesses, il faut intensifier l’accès à la santé, à la culture et l’éducation. Pour relever les grands défis climatiques, il faut mener une écologie pragmatique et mettre fin à l’écologie punitive.
Vous évoquez souvent les notions d’écologie, de développement et tourisme durables, pourtant vous êtes la cible récurrente des associations pour l’environnement, comment l’expliquez-vous ?
Malgré ma conscience politique qui s’est forgée à travers ma filiation – mon père a été dix ans trésorier de l’Association de défense de l’environnement bonifacienne ABCDE – et mes actions concrètes en la matière, je me heurte à trois problématiques.
D’abord, parce que la ville de Bonifacio, bien qu’elle demeure un joyau pour quiconque y réside ou la visite, est perçue inconsciemment par certains uniquement à travers les symboles de Sperone et Cavallo. Est-ce qu’il y a eu des dérives en urbanisme par le passé sur la commune ? Assurément, notre majorité les a toujours dénoncées et s’est efforcée de les réparer. Mais regarder Bonifacio uniquement sous ce prisme en gommant les efforts réalisés et continus en matière d’insertion paysagère, de requalification de site, de valorisation de patrimoine, de protection des espaces naturels est réducteur, injuste et relève même parfois d’une mauvaise foi dogmatique.
La deuxième raison provient du fait que certaines associations de défense de l’environnement ont sûrement pensé à tort que j’allais gérer l’urbanisme comme si elles avaient accédé au pouvoir. En 2008, elles me soutenaient et mon programme municipal a toujours été clair, connu et coconstruit avec l’ensemble des forces politiques, de gauche à droite en passant par les nationalistes : constructibilité dans la campagne bonifacienne et à l’époque constructibilité limitée à Cala Longa et Rondinara. Aujourd’hui, Bonifacio est devenue la bonne conscience du pseudo combat de certains en matière d’urbanisme.
Cet aveuglement idéologique conduit ainsi à dénoncer des salles de sport faites par des Bonifaciens à la campagne, à attaquer la maison de 100 m² d’un jeune Bonifacien qui voulait construire son foyer sur le terrain bâti de ses parents, à proximité du port. On s’oppose à des constructions de logements sociaux ou à des coffres d’amarrage protecteurs de l’herbier de posidonie et prévus pour « taxer les superprofits » si je reprends la formule de certains. C’est là où je ne comprends plus les associations qui s’érigent en scientifiques ou en aménageurs et qui à mon sens se sont engagées dans une dérive dangereuse pour notre île. La France et la Corse ne supportent plus le diktat des minorités qui imposent leurs vues aux élus démocratiquement élus par le peuple. Les citoyens commencent à le percevoir et je crois que pour redonner du crédit à leur action historiquement louable et qui a permis d’éviter nombre d’aberrations en Corse, il faut qu’elles reprennent le combat écologique tel qu’il a été pensé et mené par exemple à l’Argentella.
Parlons avenir, ancré dans votre ville, l’assemblée de Corse vous manque ?
Oui, j’ai siégé à deux reprises au sein de cette assemblée et j’y ai pris beaucoup de plaisir.
Je sais aussi me contenter de ce mandat passionnant et prenant qu’est celui de maire de Bonifacio auquel se rajoute celui de premier vice-président de la Communauté des Communes du Sud Corse.
À Bonifacio, vous avez fédéré un conseil municipal trans partisan, et cela à l’air de bien fonctionner. C’est une méthode que vous pourriez appliquer aux prochaines territoriales ?
Cette méthode de gouvernance, je la prône pour la Corse depuis longtemps et la question des prochaines élections territoriales est beaucoup trop prématurée.
Le président du Conseil exécutif était à Figari pour évoquer les futures DSP aériennes et les nécessaires travaux de l’aéroport. Qu’en avez-vous pensé ?
Le maire de la capitale touristique de l’île est partagé après cette visite.
Il est indispensable de faire entrer l’aéroport de Figari dans la modernité que requiert l’importance de son trafic notamment estival.
Cependant, je suis très circonspect lorsque j’entends parler de 100 000 sièges supplémentaires, la plupart concentrés sur l’été, voire des avions supplémentaires en cas de besoin.
D’un côté on nous parle de quotas de fréquentation, de l’autre on accroît l’offre sur la période la plus tendue.
Cela va un peu à l’encontre de la feuille de route du tourisme durable présentée à l’époque par l’Exécutif de la mandature nationaliste 2017-2021, que j’ai votée des deux mains. L’objectif qui doit nous animer est l’étalement de la saison. À l’échelle de Bonifacio, nous œuvrons modestement en ce sens depuis 2008 et avons construit un réel modèle de tourisme durable.
Au plan régional, il faut mener une politique des transports visant à maintenir les flux des mois de juillet et août, déployer des vols supplémentaires sur les ailes de la saison afin d’éviter qu’il faille payer plus de 600 euros pour un aller-retour Continent-Corse au mois d’avril. Si on ne s’attaque pas à ce problème, on ne pourra jamais construire ce fameux tourisme soutenable, durable, des quatre saisons qui est la clé de voûte de l’émancipation de notre île.
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