Soigner en conscience
Portrait
Par Karine Casalta
Bien au delà de la déontologie médicale, le questionnement éthique a toujours accompagné l’évolution de la médecine. Un questionnement au centre du parcours de JF Mattei, l’actuel Président de l’Académie nationale de médecine, professeur de pédiatrie et de génétique médicale, ancien ministre de la Santé et ancien président de la croix rouge. Un questionnement qui dans le contexte de pandémie actuelle est une fois de plus d’actualité.
« Mon parcours m’a permis d’aborder la médecine sous toutes ses facettes, que ce soit la clinique à l’hôpital avec les malades, avec l’enseignement auprès des étudiants, avec la recherche dans un labo de l’Inserm, que ce soit en politique, au niveau local, ou national comme député ou ministre, ou encore comme président de la croix rouge. Et j’ai découvert que la médecine ne peut rien faire si le social ne suit pas ! » C’est ainsi motivé par le désir d’œuvrer pour le plus grand nombre que le professeur Jean François Mattei, a fait ses premiers pas en politique. C’est aussi l’intérêt porté aux autres qui l’avait conduit auparavant à s’engager dans une carrière médicale. « La médecine s’est imposé pour moi comme une évidence, je me souviens qu’à 7 ans je voulais être médecin-cowboy ! » Fils de médecin militaire originaire de Corse, qui fut entre autre le chirurgien chef de l’hôpital d’Ajaccio à son ouverture en 1958, JF Mattei a passé son enfance aux quatre coins du monde, aux côté de son père tout d’abord, puis de son beau-père officier de l’infanterie coloniale, après le divorce de ses parents. Nouvelles–Hébrides, Sénégal, le Niger, Allemagne, … « je changeais d’école pratiquement chaque année! C’était enrichissant mais difficile à la fois.» En 1961, après un baccalauréat de philosophie, il s’installe à Marseille où ses grands parents ont pris leur retraite, pour suivre ses études de médecine. Spécialisé en pédiatrie et génétique médicale, il s’engage avec ferveur dans ce nouveau domaine qui en est à ses prémices et où tout reste à explorer.
Médecin et politique
Nommé Chef de clinique en 1974, puis professeur agrégé de pédiatrie et génétique médicale en 1981, il organise dès 1990 un enseignement d’éthique médicale, et poursuit en 1995, avec la création de l’Espace éthique méditerranéen au CHU de Marseille visant à implanter l’éthique médicale au cœur de l’hôpital et sensibiliser les étudiants, les soignants et les administratifs à cette dimension essentielle de la médecine.
Intéressé depuis toujours par la chose publique et la vie de la société, il est aussi un membre actif du club de réflexion politique « Perspectives et réalité » où il noue des contacts avec des politiques locaux qui bientôt, sollicitent son engagement. « Avec le grand nombre de personnes qu’il voit au quotidien, le médecin est le mieux placé pour connaître les difficultés des gens, la médecine est indissociable du social, c’est pourquoi à mon avis il y a de nombreux médecins en politique.» Poursuivant ses activités de professeur de génétique à l’hôpital de La Timone de Marseille, et ses responsabilités de directeur de recherche à l’Inserm, il est élu député en décembre 1989 et concentre son activité parlementaire sur les sujets liés à la santé publique, aux problèmes de l’enfant ou à l’innovation technologique médicale. A l’origine de la première loi bioéthique en 1994, il ouvre alors le champ de l’éthique en médecine.
Remettre en avant les valeurs humaines
Nommé en 2002 ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, son passage à ce poste sera marqué par de grands chantiers, comme le plan Hôpital 2007 basé sur l’investissement et la gouvernance partagée, la loi de Santé publique et la révision des lois de bioéthique et crée en parallèle l’Ecole des hautes études de santé publique (EHESP), la Haute Autorité de Santé et l’Agence de biomédecine. Son mandat restera cependant aussi marqué par les controverses sur sa gestion de la canicule de 2003 qui entraina la mort de 15 000 personnes, et les critiques qui lui furent adressées pour avoir donné alors une interview rassurante en tenue décontractée dans les média. Déchargé par la commission d’enquête, ce fait restera cependant retenu contre lui. Présentant sa démission suite à cet épisode que JP Raffarin refusera, il quittera néanmoins le gouvernement un an plus tard, après que Jacques Chirac en 2004 resserre les rangs autour de lui après une cuisante défaite du parti gouvernemental aux élections régionales. « J’’ai eu alors la chance d’être sollicité pour me présenter à la présidence de la Croix rouge » Elu, Il y restera jusqu’en 2013, et se consacre alors aux problématiques de la santé au plan humanitaire.
« Il y a des valeurs morales et des principes d’éthique on ne doit pas confondre les deux : la morale est intangible. Elle ne permet pas de se poser de questions, elle s’impose. Alors que l’éthique est un questionnement »
Un questionnement nécessaire…
Par ailleurs membre du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine depuis 1997, dont il prend la présidence en 2015, il est élu cette année à la présidence de l’institution qui fête son bicentenaire. Un mandat qu’Il souhaite mettre à profit pour valoriser les travaux de cette maison, dit-il où l’on travaille beaucoup. « Je voudrais que l’Académie soit un moteur pour faire le lien entre les nouvelles matières à enseigner en médecine et ceux en charge de ces enseignements. Nous poussons aussi beaucoup pour davantage d’enseignement de sciences humaines, comme la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, car l’homme est un tout, corps et esprit et on ne peut pas soigner le tout en ne s’occupant que du corps. Il est important de développer ce caractère social. » Selon lui en effet les avancées scientifiques nous confrontent à des questions et des situations inédites, dans de nombreux domaines, auxquelles il est urgent d’apporter les réponses les plus conformes aux valeurs humaines, et définir de nouvelles façons d’être et de faire. Un propos développé dans son dernier ouvrage « le grand bouleversement » dans lequel il nous fait partager son expérience et ses réflexions sur les choix qui s’offrent à notre société.
…Et permanent
De la même façon, le contexte de la crise sanitaire actuelle soulève des questions d’une actualité exigeante. « Elles posent en terme nouveau le rapport entre l’individu et le groupe. On redécouvre aujourd’hui, alors que nous vivons une période ou l’individualisme prévaut, qu’on se protège soi même en protégeant le groupe. On redécouvre le lien social, le lien à l’autre, fondamental dans les questions d’éthique. Se pose aussi en toile de fond un rapport bien difficile entre la santé et l’économie, car si l’on s’accorde à dire que la santé n’a pas de prix, elle a un coût. Aujourd’hui l’économie passe au second plan avec le souci de préserver tout ce qu’il faudra pour le re développement, mais il faudra au terme de l’épidémie engager une relance et donner un nouvel élan. Un autre problème crucial est celui de l’évaluation de la vie des personnes, dans un contexte ou l’on ne peut pas prendre tout le monde en charge. C’est pour les médecins une équation impossible, mais qu’on connaît pourtant déjà dans certains domaines, comme celui la transplantation d’organe, où tous les besoins ne peuvent être satisfaits ; ou encore lors de grandes catastrophes naturelles, lorsque le nombre de victimes est trop important pour que toutes soient prise en charge. Un tel choix est un fardeau moral pour les médecins, qui démontre là qu’il n’y a jamais de choix éthique sans tension morale. Enfin, dans le cadre du confinement, se pose le problème des malades qui meurent à l’hôpital sans avoir pu voir leur famille, ni que les familles ne puissent aller voir leur mort. C’est un problème majeur dans la gestion de la douleur des deuils qu’il va falloir prendre en compte. »
Convoqué en tant que médecin par la souffrance, la douleur et les menaces de mort qui surviennent dans la population, mais interdit de reprendre du service actif en raison de son âge, c’est par l’organisation d’une réflexion collégiale au sein de l’Académie sur les problématiques liées à cette pandémie que le professeur Mattei espère désormais apporter sa contribution et mettre toute son expertise au service d’une sortie de crise.
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