Jean-Pierre Marcellesi, le dérangeur musical
Six ans après la sortie de votre album Solu Mai, vous reviendrez en 2014 avec un troisième opus. On peut dire que vous aimez prendre votre temps !
C’est vrai que je travaille lentement en suivant l’inspiration du moment. Si je ne sens pas les choses, je n’insiste pas. Je ne me dis jamais : tiens, je vais travailler sur un album. De même, je ne m’installe jamais à une table en me disant : je vais composer. En revanche, une fois lancé, je n’ai plus la notion du temps. Il m’est arrivé de jouer 6 ou 7 heures d’affilées sans m’en rendre compte, de rester plusieurs mois en studio d’enregistrement pour trouver le son juste. J’aime cette manière artisanale de travailler, sans contrainte.
Ce rapport au temps, c’est peut-être aussi parce que j’ai grandi en Afrique. Le temps s’arrête là-bas. Je peux louper des rendez-vous, faire « criser » mon entourage. Je ne sais pas combien de trains j’ai ratés dans ma vie ! C’est tellement fréquent que cela a inspiré la pochette du futur album.
En quoi cet album sera-t-il différent des précédents ?
Cet album se fait comme j’en ai rêvé. L’enregistrement se fera entre la Corse et la Belgique dans les prochaines semaines. Il est travaillé comme un live et réserve quelques belles surprises. La scène, l’improvisation ont guidé sa création. C’est ce qui m’inspire. La mélodie vient un peu comme par magie, avant, après ou même pendant le concert. On la retient, on la développe. J’ai l’impression que c’est quelqu’un, là-haut, qui me l’envoie… Je pense toujours à mon père. Mais un disque, ce n’est jamais une personne seule. Et heureusement ! Les musiciens qui m’accompagnent sur scène et que je connais depuis plus de 10 ans seront à mes côtés sur l’album. Nous formons un véritable groupe. En ce moment, on voyage, on joue, on vit ensemble. Ils sont aussi fous que créatifs et rigoureux. De vrais artistes.
Quelles ont été vos influences pour cet album ? Quelles sonorités seront au rendez-vous ?
Elles sont nombreuses ! Je me suis permis de rejoindre mes influences comme Springsteen, Sting, Taylor, Queen, les rythmes africains, celtes, brésiliens, le gospel… tout ce qui m’a fait grandir musicalement. On y trouvera des histoires d’amour, des reprises et des duos surprenants, une berceuse, un hommage aux chansons et aux chanteurs italiens et pour la première fois deux titres instrumentaux. A travers ces chansons qui délivrent toutes un message positif, je m’adresse à mes proches, à mes enfants, à ma grand-mère qui nous a quittés et que je remercie pour tout l’amour qu’elle nous a donné. Cet album, c’est le bonheur. J’ai collaboré avec Alain di Meglio pour les textes en lui demandant de s’adapter à mon phrasé avec des mots et des images très simples. Je n’ai pas honte de dire que c’est de la variété où chacun peut s’y retrouver.
La Corse est-elle inévitablement présente dans vos créations ?
Ce nouvel album sera entièrement en langue corse, ma langue première. Par ailleurs, je remercie mes parents qui ont rempli nos vies de voyages, de rencontres. Donc oui, je suis un insulaire, heureux de l’être, mais qui ne veut pas être sclérosé. La Corse est comme un navire. Il faut voyager avec, pour le faire voir et aller voir ailleurs. C’est ce que j’ai inculqué à mes enfants. J’ai ma corsitude, je suis prêt à défendre cette identité mais à aucun moment je me dis qu’on est plus ou moins que les autres.
La sortie d’un album est toujours un événement. Est-ce un moment que vous redoutez ?
La critique fait toujours peur. Même si cela ne se voit pas, je suis un grand timide. La guitare est mon bouclier. Mais je pense avoir fait un pas en avant avec ce nouvel album. Je me pose moins de questions, je suis fier de notre travail. Je sais que les personnes qui achèteront l’album après un concert ne seront pas trompées sur la marchandise. C’est important pour moi que l’on retrouve ma patte tout de suite.
Votre « patte » c’est aussi le cabaret…
Je ne me considère pas toujours comme un chanteur, plus comme un guitariste qui s’accompagne. C’est pourquoi je reviens toujours à l’esprit cabaret. En clair, tu fais tout et n’importe quoi et à la fin ça sonne quand même ! J’expérimente cette technique depuis le lycée ! Pour la présentation de l’album prévue à la Mutualité à Paris, je voudrais recréer cet univers, cette proximité avec le public.
La scène n’est que plaisir ?
Sur scène, les spectateurs nous félicitent à la fin du concert. Ce devrait être l’inverse ! C’est une véritable communion, un échange. Je chante pour chacun d’entre eux, je les regarde. Il m’est arrivé de monter sur scène fatigué, courbatu. Au premier accord, tout était oublié, la magie avait opéré. Le secret est de ne pas se prendre au sérieux. On n’a rien inventé, on n’a pas trouvé de remède contre la maladie. C’est juste du bonheur. Parfois je culpabilise un peu : je n’ai jamais l’impression de travailler. Et le jour où ce ne sera plus le cas, j’arrêterai. Sans regret.
De sa composition à la rencontre du public, un album a plusieurs vies. Comment appréhendez-vous toutes ces étapes ?
La composition et la scène sont liées. L’inspiration vient toujours pendant les tournées. Un peu comme en cuisine. J’adore les grandes tablées, cuisiner, mais je ne sais pas jamais à l’avance ce que je vais préparer. Les tournées sont des moments uniques. Si rester éloigné des siens est ce qu’il y a de plus dur, les rencontres sont le principal avantage. J’aime les gens, les échanges, apprendre des autres, sur le continent et à l’étranger où j’ai eu la chance de jouer. Enfin, le studio demande plus de concentration. Mais selon moi, il n’y a pas de règle en musique, pas d’interdit, pas de logique à respecter. Tout est permis. La musique est une bonne thérapie.
Vous êtes d’ailleurs connu pour casser les codes du « musicalement correct » ?
Ma particularité, c’est l’improvisation. J’aime déformer les compositions, m’approprier les chansons. Et je suis également flatté quand mes musiques sont reprises par un chanteur, pour un film ou une pub. En fait, je suis un guitariste heureux !
On dit souvent que je ne suis pas un arrangeur mais un « dérangeur ». Je ne connais pas le solfège malgré les cours de piano pris étant enfant. Au lieu d’apprendre les notes, j’arrivais à reproduire à l’oreille les sons que jouait ma sœur. A l’adolescence, je n’aimais pas le côté rigoureux et institutionnel de la musique. Aujourd’hui, ces notions me manquent. Et puis, j’ai tellement de défauts qu’au final ils deviennent des qualités quand je joue ! D’autres ont plus de dextérité, plus de technique. Mais j’ai mon style : je ne serre jamais les cordes, je caresse la guitare et je ne joue qu’avec deux doigts ce qui donne un son particulier. C’est aussi l’école du cabaret qui m’a façonné. Il y a tellement de bruit qu’on est obligé de prendre des risques pour se faire entendre. J’étais nettement moins fier la première fois que j’ai accompagné Yves Duteil en tant que guitariste. Il y avait une telle rigueur. La moindre erreur aurait été entendue par toute la salle.
Vous appréciez également partager votre musique avec d’autres artistes. Avec qui aimeriez-vous former un duo, le temps d’une chanson ?
Il y en a trop ! J’aime les passionnés et ce, dans tous les domaines. Le rêve serait de réunir tous ces artistes lors d’un festival pour profiter d’un moment avec chacun d’entre eux : Eagles, Springsteen, Sting, Bowie, James Taylor pour un deux guitares, deux voix. J’apprécie aussi Charlie Winston, Jack Johnson ou encore Christophe Maé dans la nouvelle génération.
Après la composition, pensez-vous prendre la plume pour écrire les textes de vos chansons ?
J’ai déjà tenté l’expérience pour l’Eurovision 2011 et la chanson « Sonniu » interprétée par Amaury Vassili. Mais je m’étais vraiment inspiré du chanteur… Je pense m’y mettre sérieusement un jour. Pour l’instant, je préfère laisser ça à d’autres. La composition a ma préférence. Il m’arrive de composer pour des films. C’est un exercice qui me plait. On se nourrit de l’image, contrairement à la composition d’un album où c’est la musique qui donne l’image. C’est vraiment surprenant.
Qu’aimeriez-vous que l’on dise de votre musique ?
« C’est du Marcellesi »… ça me suffit. C’est mon identité comme la signature d’un plat. Un côté inattendu mais toujours avec mon empreinte.
Propos recueillis par Caroline Ettori
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