Photographie FairMoove
Jean-Pierre Nadir, désigné comme parrain du salon professionnel Sens Corsica à Ajaccio en avril dernier, a partagé sa stratégie sur l’avenir de l’industrie touristique. En tant qu’entrepreneur chevronné et fondateur du site fairmoove.fr, il prône un tourisme plus réfléchi et durable.
Selon lui, c’est une opportunité unique de repenser une destination.
Il incarne l’espoir d’une transformation positive des activités touristiques où responsabilité et innovation se conjuguent pour façonner un avenir plus prometteur. Portrait d’un passionné, convaincu qu’un monde meilleur se profile à l’horizon.
Par Anne-Catherine Mendez
Comment a commencé votre aventure dans l’entreprenariat?
J’ai commencé ma carrière dans la presse en tant qu’actionnaire du groupe Entreprendre. En 1989, j’acquiers le quotidien Le Sport et je crée ensuite le groupe Les Éditions de Demain. Parallèlement, je lance l’agence de photo Visa Image, dont les productions sont vendues dans plus de 40 pays. De 1990 à 1999, je lance plusieurs titres de presse, dont Partir, Cuisine du bout du Monde, Sport’s Magazine et Voyager Magazine, avant de vendre mon groupe en 2000. Mon premier grand succès, EasyVoyage, est un portail éditorial dédié au voyage, offrant des avis, un comparateur d’offres, et du contenu éditorial fourni par une équipe de 25 journalistes. Je vends la majorité de ses actions (57%) à Webedia en 2015 et dirige le pôle Tourisme avant de quitter l’entreprise en 2020. En 2021, je cofonde FairMoove, une plateforme de réservation de voyages en ligne qui combine le
plaisir du voyage avec une prise de conscience écologique et des valeurs éthiques. FairMoove se concentre sur l’impact environnemental du voyage et vise à fournir des clés pour voyager de manière plus réfléchie, en mettant l’accent sur l’authenticité et le goût du réel.
Quelle est votre définition du tourisme?
Pour moi le tourisme est aujourd’hui la pierre angulaire de la reconstruction de notre monde, à condition qu’il soit abordé avec pragmatisme et responsabilité. Cela signifie associer responsabilité, plaisir et sobriété. En effet, le tourisme responsable vise à réconcilier la planète, les populations locales et les visiteurs. Si le tourisme est mauvais pour l’humanité, il faut arrêter de voyager tout de suite. Mais si c’est bon pour l’humanité, le tourisme n’est pas le problème, mais la solution. Sachant que 2 milliards d’individus vivent avec 2 dollars par jour et que le tourisme représente pour eux un des seuls débouchés porteurs d’avenir quasi immédiat et sources de revenus, posons-nous la seule et vraie question : quelles sont les solutions pour rendre le tourisme compatible avec l’écologie pour sauver l’humanité?
Quelles sont-elles selon votre analyse?
La crise sanitaire a révélé l’importance du local dans les grands équilibres. Justement, le tourisme responsable réconcilie le local avec un écosystème global vertueux : il favorise la fixation des populations dans leurs environnements habituels, soutient une économie autosuffisante, préserve la nature, rapproche les populations locales et les touristes, et crée de nombreux emplois directs, indirects et induits. Il est crucial de considérer le tourisme dans toutes ses dimensions : écologique, bien sûr, mais aussi humaine. Pour certains, il s’agit de lutter contre la «faim» quotidienne, tandis que pour d’autres, il s’agit d’éviter la «fin» du monde.
Des exemples?
Les hôtels peuvent réduire leur consommation énergétique, voire devenir à énergie passive ou positive. Les solutions incluent des constructions climatiques favorisant les courants d’air pour limiter la climatisation, des lumières avec détecteurs de présence, des lampes LED, des panneaux solaires, la géothermie, le retraitement et la réutilisation des eaux, la récupération des eaux de pluie, une gestion rigoureuse des plastiques, l’approvisionnement en produits locaux, l’usage du vrac et des véhicules électriques. En choisissant des producteurs locaux, les structures d’hébergement favorisent l’emploi et réduisent les émissions de CO2 liées aux importations. Cela permet de proposer des saveurs authentiques et crée des opportunités d’emploi. En aidant les producteurs, vous allez permettre de réhydrater les sols, arrêter la désertification, développer la diversification biologique et de créer de nombreux emplois: 6 individus pour un hectare en permaculture. Ça va relancer des productions locales en diversifiant les productions et en trouvant des débouchés immédiats.
Dans leur quête de pratiques plus respectueuses de l’environnement, quelles sont les difficultés uniques auxquelles font face les entreprises touristiques en Corse ?
Les entreprises touristiques corses sont confrontées à une série de défis. Bien que la région bénéficie d’une nature préservée, la surfréquentation reste une préoccupation croissante. Avec seulement 13 000 chambres d’hôtel, la capacité d’accueil est en deçà du potentiel, offrant à la fois des opportunités de développement et des défis. Pour répondre à la demande de consommation responsable, un label « produit corse » est nécessaire pour certifier l’origine des produits locaux. Parallèlement, le concept de slow tourisme gagne en popularité, mettant l’accent sur une expérience de voyage axée sur la contemplation et des interactions de qualité. L’énergie représente aussi un défi majeur pour les entreprises touristiques en Corse, notamment en raison de ses besoins saisonniers fluctuants. Pour garantir une production énergétique durable, les opérateurs touristiques, en particulier les plus importants, peuvent se tourner vers des sources renouvelables telles que le solaire, ce qui leur permettrait de couvrir une part significative de leurs besoins. Parallèlement, la gestion de l’eau revêt une importance cruciale, tant pour la consommation quotidienne que pour les infrastructures hôtelières. Des initiatives telles que la récupération des eaux grises et l’installation de dispositifs économes en eau peuvent contribuer à réduire la consommation excessive et à promouvoir une utilisation responsable des ressources hydriques. Le tourisme en Corse peut être un moteur de progrès en transformant ses
pratiques pour relever les défis contemporains tels que la préservation de l’eau, la transition énergétique et la gestion des déchets. En repensant nos approches, le tourisme peut devenir un modèle d’exemplarité et contribuer à la réinvention de nos sociétés pour un avenir plus durable.
Comment encourager les entreprises corses ?
Je leur ai donné quelques exemples, mais je suis convaincu que la clé réside surtout dans l’adoption d’un discours authentique pour transformer le tourisme en un moteur de progrès durable. La transparence et la reconnaissance des progrès réalisés, même s’ils ne sont pas parfaits à 100%, sont essentielles. Il est important d’expliquer simplement notre parcours. Par exemple, indiquer l’origine des produits au petit-déjeuner, comme de la confiture de chez Dumé en Corse, ajoute une dimension humaine et une histoire unique à chaque produit. L’hôtellerie, en particulier, devrait être le fer de lance de ces initiatives positives dans une destination, jouant un rôle crucial dans ce processus. Pour progresser, des améliorations sont nécessaires, notamment dans l’accueil des visiteurs, la promotion des produits locaux, la réduction du plastique et l’adoption de politiques zéro déchet. Un changement d’état d’esprit est également crucial : considérer le tourisme comme un bienfait en limitant ses méfaits, plutôt que comme un simple honneur d’être visité.
Si vous deviez motiver notre jeunesse ?
J’aimerais leur dire que le tourisme est un extraordinaire vecteur de progression social. Devenir ingénieur sans une longue formation relève de l’exploit. Mais partir du bas de l’échelle pour devenir un patron d’hôtel reste à la portée de bien des profils. L’énergie individuelle, c’est le capital de ceux qui sont sans moyen financier ou universitaire, mais qui veulent avancer !
Votre devise?
Plus qu’une devise mais une conviction. On devient meilleur le jour où on accepte de n’être pas le meilleur.
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