Par Jean Poletti
Longtemps l’inconscient collectif crut que l’insularité fut à la fois un handicap et une protection. Erreur manifeste. Si les carences subsistent le rempart constitué par le bras de mer sombra sous les vagues venues d’ailleurs. Que nul ne se méprenne, loin de nous l’idée d’entonner le sirupeux refrain du « c’était mieux avant ». Il n’empêche que dans une sorte d’accélération de l’histoire, les désagréments de naguère deviennent aujourd’hui un profond mal sociétal. Il cloue désormais une communauté au pilori des néfastes faits conjuguant assauts économiques exogènes et modèles de voyoucratie importés. L’entrisme effréné, légal ou délictueux, a trouvé une nouvelle terre d’accueil, propice à toutes les dérives. Racket, incendies pour juguler la concurrence, tentatives d’accaparations de marchés lucratifs dont la gestion des déchets est une éloquente illustration. Inutile et superfétatoire d’en appeler à Prévert et son énumération pour camper la situation. D’aucuns auront beau feindre d’ignorer cette maléfique spirale. D’autres d’émettre des vœux pieux. Certains de s’engoncer dans le fatalisme ou l’indifférence, le constat est cruel. À qui sait déciller les yeux tout indique que l’île devient le terreau propice aux fleurs du mal. Elle est frappée de plein fouet par la précarité. Victime aussi d’un libéralisme exacerbé permettant à quelques groupes locaux de s’enrichir au détriment de la population. Soumise à la double peine de la cherté de la vie et du faible pouvoir d’achat. Travailleurs pauvres. Retraités indigents. À ce triste panel se greffe et se superpose une jeunesse, diplômée ou pas, anxieuse face aux sombres lendemains de l’emploi. Cette désespérance ambiante alimente à maints égards les prévarications, l’affaiblissement du fameux État de droit supplanté ici et là par des agissements d’une nouvelle génération qui franchit la ligne rouge. Une telle observation ne vaut certes pas assentiment. Elle rejoint simplement les analyses diverses et variées de sociologues patentés attestant que la délinquance est plus prégnante quand la pauvreté s’accroît. Chez nous, dans une sorte de funeste riaquistu, vivre et braquer au pays est devenu une sorte de doctrine. Ces petites mains du banditisme volent les commerçants, molestent des particuliers pour soutirer leurs économies, chapardent des maisons inhabitées dans les villages. Bref, offrent le visage d’un milieu au rabais, qui ferait presque regretter le temps des seigneurs de la pègre qui s’exilaient pour accomplir leurs forfaits. Mais cette emprise n’est pas isolée. La Corse, sur un autre chapitre, est devenue une source de profits pour des investisseurs continentaux ou étrangers. Alléchées par les opportunités, ils s’imposent par l’argent dans une île aux fortes potentialités mais affichant une criante faiblesse structurelle. Là aussi nul besoin d’être grand clerc pour percevoir que des sociétés, souvent basées dans la capitale ou sous de lointains cieux, acquièrent ou font construire maisons et immeubles aux seules fins de s’accaparer le marché lucratif de locations saisonnières. D’autres s’intéressent au secteur aérien bien décidés à détrôner la mythique compagnie régionale. Pour couper court à tout faux procès d’intention, soulignons que ces offensives sont en tout point légales. En faisant observer dans une logique incidence qu’elles dénaturent et affaiblissent davantage encore une économie friable, sur des points essentiels. Ici, elles contribuent à aggraver un secteur immobilier qui devient inaccessible aux insulaires. Là, elles risquent de mettre à mal un service public du ciel et en incidence des centaines d’emplois directs et induits, dans un marché du travail réduit comme peau de chagrin. Ces quelques exemples significatifs mais nullement isolés, suffisent à accréditer la cinglante affirmation d’un décrochage d’une région tout à la fois semblable et différente qui recèle des opportunités sur lesquelles lorgnent de puissants investisseurs au nom de la fallacieuse liberté d’entreprendre. Dépossession, crient sous tous les toits des voix politiques ou citoyennes. Mais au-delà des récriminations et autres discussions de comptoir l’urgence commande à poser une simple question : quel avenir voulons-nous collectivement pour la Corse ? La mainmise de la voyoucratie ? Celle de l’avènement de grands trusts ? L’amplification de l’exclusion sociale ? Voilà trilogie qui devrait transcender les diatribes illusoires dont nous sommes si friands. Et autres rengaines de vieilles lunes opposant trop souvent partisans de la décentralisation et adeptes de l’unité républicaine. Comme le disait opportunément Jacques Chirac « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » La Corse à l’encan, au plus offrant ? Vous avez dit marchandisation ?
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.