La Corse banalisée
Entre Emmanuel Macron et la Corse, c’est une histoire d’incompréhension mutuelle. Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, il n’avait pas fait naître dans l’île le moindre espoir de prise en compte d’une spécificité longtemps revendiquée. Sans remettre en cause un traitement particulier, il n’avait rien véritablement proposé.
Par Vincent de Bernardi
Les résultats de l’élection ont témoigné du faible engouement des Corses pour un candidat perçu comme plus jacobin que girondin, ne promettant que peu de choses à une île en mal de reconnaissance et d’attention.
Au premier tour, il arrivait en troisième position derrière Marine Le Pen et François Fillon qui pourtant n’avaient, ni l’un ni l’autre, rien promis de plus, et dont la vision d’une Corse dans la République ne se distinguait guère des décennies passées.
Au second tour, les résultats bien plus serrés que sur le continent – 51,5% pour contre 48,5 à Marine Le Pen ont sauvé la Corse du déshonneur. Ils ont toutefois semé le trouble. Pourquoi cette île a-t-elle donné autant de voix à l’extrême droite, pourquoi s’est-elle laissé séduire par le populisme du Rassemblement national ? De nombreuses raisons expliquent cette tendance. Parmi celles-ci, j’en isolerais une qui me paraît importante pour l’avenir. En 2017, Emmanuel Macron n’a pas pris la mesure de ce qui se jouait en Corse. Il n’a pas voulu tirer les leçons d’une relation tumultueuse entre l’île et le continent. Au lendemain de sa victoire, le seul objectif était d’implanter La République en Marche en Corse, d’envoyer un ou deux députés à l’Assemblée.
Discours glacial
Le résultat, c’est qu’aucun des candidats se réclamant du parti du Président n’a franchi le seuil du premier tour. Quatre ans après, La République en marche n’existe toujours pas et ne pèse rien dans un paysage politique dominé par les nationalistes. Si l’on voulait être sévère, on dirait qu’il est le Président sous qui sont arrivés au pouvoir ceux qui prônent une forme de séparatisme qu’il combat. Il n’en est bien sûr pas responsable. Pourtant, au cours de son mandat, il n’a eu de cesse de considérer les nationalistes, élus démocratiquement, comme illégitimes au regard du projet républicain qui était le sien. On se souvient de sa visite le 6 février 2018 pour la commémoration de l’assassinat du préfet Érignac et du discours glacial du lendemain devant une assistance mal à l’aise.
La saga du pass sanitaire
Ce déplacement a marqué une rupture et empêché un véritable dialogue entre Paris et l’île. Depuis, c’est le calme plat. Une écoute polie, de la part d’une « Madame Corse » discrète pour ne pas dire absente, et une fin de non-recevoir à toutes les demandes de la Collectivité ou presque. Même pendant la pandémie, les demandes du président de Conseil exécutif réclamant un pass sanitaire à tous les visiteurs pour éviter la propagation du virus sur un territoire vulnérable, sont restées lettre morte… jusqu’à ce qu’un an plus tard, l’État finisse par instaurer un contrôle sanitaire des entrées. D’humiliation en camouflets, la Corse s’est rempliée sur elle-même. Bien sûr, comme toutes les autres régions, elle a bénéficié des compensations pour éviter un effondrement de son économie, mais c’est son amour propre qui est aujourd’hui blessé. Elle n’est plus considérée comme un centre digne d’intérêt, ni comme une question encore moins comme un « problème ». Elle ne fait plus la une des médias, et même si les règlements de compte suscitent encore quelques « papiers » dans la presse, cela ne provoque plus une réponse particulière. Tout se passe comme si, durant son mandat, Emmanuel Macron avait cherché à banaliser la Corse, à l’enserrer dans un ensemble qui la dépasse. Certes, les événements l’y ont conduit. Et les prochains mois ne risquent guère de redonner de la visibilité à la Corse et à sa volonté d’être traitée différemment, spécifiquement. Mais, il y a pourtant un risque de voir la Corse se distinguer. En observant les résultats de la dernière élection présidentielle, on peut légitimement s’inquiéter de la possible progression du score de Marine Le Pen la faisant arriver en tête au second tour.
Retour de flamme
Faudra-t-il y voir une adhésion aux idées de l’extrême droite ou bien un vote de défiance à l’égard de celui qui aura ignoré la Corse ? Sans doute un peu des deux, sans oublier bien d’autres facteurs qui entreront en ligne de compte.
Pour autant, si un tel scénario devait se produire, cela marquera un tournant dans l’image que la Corse renvoie de l’autre côté de la mer et dans les relations qu’elle devra renouer avec l’État. Et là, c’est bien plus que notre amour propre qui sera blessé.
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