La Corse et le Vatican: Une relation cimentée par l’histoire

La simple éventualité de la venue du pape a suscité l’effervescence. Sans doute est-ce similaire partout où doit se rendre le souverain pontife. En prévoyant ce déplacement, il suscita l’étonnement au sein de la curie romaine et quelque désarroi élyséen qui aurait préféré qu’il vint inaugurer la cathédrale Notre-Dame de Paris. Voilà qui rouvre le grand livre des rapports scellés dans l’ancienneté entre l’île et le Saint-Siège.

Par Jean Poletti

« La Corse terre vaticane » l’excellente thèse de doctorat en droit canon de l’abbé Michel Orsini revient sous les feux de l’actualité. Il explique dans cette publication exhaustive et sériée, les dates et faits qui nouent naguère et présent par un lien souvent étroit, parfois distendu. Mais toujours prégnant alternant politique et religiosité. Une ancienneté qui confère à l’île une relation toute particulière et pour tout dire exclusive avec la cité papale. Si l’histoire est la science du passé, nul doute qu’elle éclaire avec acuité une telle évidence qui résista à la longue épreuve du temps. Et persiste dans la mémoire collective à ancrer cette idée de proximité certes aux atours de dévotion, sans toutefois exclure l’aspect laïc. Au-delà d’une vision purement théologique palpite en effet chez nous une dimension presque sociétale qui se retrouve fréquemment de manière consciente ou instinctive dans le vécu d’une communauté. En cela, cette arche, invisible mais solide, jetée par-dessus la mer s’apparente à une union que nulle fluctuation, au gré des époques, put éventuellement fragiliser sans jamais la détruire. Notre propos n’est pas de verser dans l’énumération exhaustive en nous substituant en spécialiste de circonstance. Mais laisser ce domaine à maints égards dévolu aux spécialistes de la question n’interdit nullement de rappeler les grandes dates et évènements notables qui contribuèrent à cette permanence d’un mariage de cœur ou de raison. Désormais le reflet d’une habitude ayant force de loi non écrite.

Grégoire l’évangéliste

Depuis l’annonce de l’auguste venue en terre ajaccienne, il ne se passa pas un jour sans que le champ médiatique ne s’en fasse l’écho. Une abondance d’explications de commentaires et autres interventions qui dénotent si besoin était qu’un tel déplacement revêt une dimension extraordinaire au sens littéral du terme. Presque surréaliste pour certains. Insolite pour d’autres. Mais rares sont ces exégètes à s’appesantir véritablement sur la motivation profonde, individuelle, presque secrète du pape François. On évoqua à l’envi son désir de participer à un colloque dédié à la religiosité populaire en Méditerranée. Voilà qui relève d’un souhait pertinent. Mais en bannissant toute idée de contredire la sémantique diplomatique de la curie, nul doute que d’autres motivations peuvent affleurer l’esprit citoyen. Une sollicitation pressante, pour ne pas dire amicale du cardinal Bustillo ? Ce dernier se mua-t-il en l’occurrence en une sorte d’apôtre de la réminiscence en soulignant les attaches mutuelles et prégnantes entre le plus petit état du monde et notre île ?

Balayons ces hypothèses à l’évidence recevables pour évoquer à grands traits cette communion géographique, religieuse et en incidence culturelle.

Les Vandales s’éclipsèrent vers l’an 500. Ils laissèrent progressivement éclore une évangélisation sous la houlette d’évêques essentiellement venus d’Afrique du Nord. Une telle mission fut encouragée et surtout théorisée par le pape Grégoire le grand et ses institutions monastiques. Dans le même élan, il s’efforça de réduire drastiquement toute pratique païenne, détruisant les sanctuaires et édifiant des chapelles.

L’île enjeu d’alliances

L’eau coula sous les ponts charriant son lot de guerres modulant la carte et les pouvoirs. Ainsi, par exemple aux lisières du septième siècle la Corse passa à son corps défendant et par le jeu des conquêtes sous le giron des Lombards, après que ceux-ci eurent ravis l’Italie aux Byzantins. Inquiète pour sa perte d’indépendance la papauté trouva dans le roi de France un allié providentiel. Pépin le Bref s’engagea à guerroyer contre l’envahisseur puis rétrocéder des terres occupées à l’autorité papale.

D’une époque à l’autre, le contrat fut révoqué quatre cents ans plus tard par le pape Urbain II, qui sans doute plus affairiste que pieu, céda contre espèces sonnantes et trébuchantes annuelles l’île aux Pisans. Faire et défaire ne semblant pas être une pratique exclusivement profane. Innocent II octroya plusieurs évêchés insulaires à la République de Gênes. Il n’empêche contre vents et marées, accords passés et rompus, tels soutiennent qu’aujourd’hui ces péripéties ne rendent nullement caduques l’enracinement à nul autre pareil entre une petite région et le Vatican. Il fut d’ailleurs suivi dans ce sillage par de multiples échanges commerciaux et l’implantation de nombreux insulaires dans la cité romaine. Ainsi, convient-il de noter en anecdote édifiante que lors de la possible mainmise de la perfide Albion sur la Corse, profitant du crépuscule de l’ère napoléonienne, nombreux ici en appelèrent au Vatican. Il serait loisible d’épiloguer sur ces chapitres divers et variés, aux rebondissements dignes d’une saga. Mais une telle déclinaison qui prend parfois dans sa complexité l’apparence d’un nœud gordien ne fut jamais tranché. L’attrait mutuel perdure. Sans que nulle autorité temporelle n’esquisse l’idée d’une remise en cause de ce qui est devenu par la force de la durée un fait probant.

Le Roi Soleil éclipse a guardia corsa

La vérité commande à dire que ce panel relationnel ne fut pas toujours une entente cordiale. À cet égard figure en bonne place le scénario écrit en lettres de sang par la Garde papale corse. Composée de quelque six cents hommes, répartis en trois compagnies. Elle était intégrée à l’armée pontificale, avec pour mission de protéger le pape, tout en effectuant des tâches de police urbaine. Ces soldats avaient une sorte d’auréole de bravoure et de fidélité. Leur mission prit brutalement fin lors d’un fait divers peu commun survenu le vingt août mille six cent soixante-deux.

Ce jour-là, en plein centre de Rome, des militaires insulaires en vinrent aux mains avec des fantassins français en faction devant l’ambassade de France, palais Farnèse. L’échauffourée devint drame lorsque des coups de mousquets furent tirés sur le carrosse de l’ambassadeur, le duc Charles de Créquy, cousin du Roi, faisant plusieurs morts et blessés. L’affaire fit grand bruit et provoqua un incident diplomatique. Louis XIV aussitôt informé adressa un message courroucé, lourd de menaces, au pape. Ce dernier craignant des représailles signa le traité de Pise, accepta l’annexion par la France d’Avignon alors sous son autorité. Et bien évidemment se sépara du contingent corse.

Légitime réhabilitation

Nul ne sait vraiment pour quelle raison cet affrontement eut lieu. Tout laisse à penser qu’il s’inscrit en toile de fond dans l’hostilité entre les prérogatives d’extraterritorialité réciproques pour le contrôle de la ville. Les frictions se multiplièrent. Mais il n’est pas utopique de penser que l’enjeu était aussi éminemment politique. La France voulant faire échouer la plausible alliance dite anti-Ottomans. Quoi qu’il en soit, la tension était palpable, fut émaillée d’altercations, d’invectives et d’empoignades entre les soldats des deux camps. Ainsi, deux jours avant la funeste fusillade, une bagarre éclata sur le pont Sisto pour son contrôle. Les Corses décidèrent que ce qu’ils considéraient comme un affront ne devait pas rester impuni. Tout l’effectif se mobilisa et en représailles décida d’assiéger l’ambassade. La suite est connue et s’acheva tragiquement.

Le doute semble toutefois ténu qu’un tel épilogue n’ait pas été savamment exploité par celui que l’on nommait le Roi Soleil pour accentuer sa stratégie d’affaiblissement du Saint-Siège. Et ainsi amplifier celle qu’avait initié à bas bruit le cardinal Mazarin. À la lueur de ces éléments d’explication chacun pourra dire en son âme et conscience que les voies du Seigneur ne sont pas les seules à être impénétrables. Et l’on discerne aisément qu’il est des situations ou l’aspect religieux le dispute aux considérations purement prosaïques pour ne pas dire de volonté temporelle de puissance.

A Guardia sacrifiée sur l’autel de considérations qui lui échappaient ? Victime collatérale dans l’onde de choc d’intérêts royaux ? D’aucuns le pensent. Mieux, ils aspirent à réhabiliter la mémoire de cette unité, coupable désignée au nom de la géopolitique. Ainsi l’Associu di a Guardia papale se rend régulièrement dans le quartier Trastevere, lieu où cantonnait l’essentiel de cette garnison. Lors de ces pèlerinages mémoriels, la délégation peut se recueillir dans la Basilique San Crisogono, appelée « église des Corses ». Ils n’ont qu’à traverser la rue pour pénétrer dans celle de Sant’Agata qui elle aussi témoigne par maintes effigies la présence de ces mercenaires transformés en combattants de la foi. Cette association initia par ailleurs un jumelage entre l’archiconfrérie Saint-Joseph de Bastia et celle del Carmine de Rome, fondée par des Corses.

Un pape de Vivario ?

Inlassablement, sous la houlette de son président Iviu Pasquali, l’associu donne des conférences à Paris, en Italie et bien évidemment dans l’île. Une démarche pédagogique qui se complète à Piedicroce par une exposition permanente, que peuvent parcourir adultes et écoliers pour ainsi connaître ou approfondir une page encore trop méconnue d’un héritage commun.

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